Des res et la natura aux res naturales
Ella Hermon*
Des res et la natura aux res naturales**
English title: From res and nature to the res of the nature
DOI: 10.26350/18277942_000170
Sommaire: 1. L’introduction: Tendances récentes de la recherche sur les res «choses» et la natura. - 1.1. Une nouvelle conception de la res. - 1.2. Un regain d’intérêt des recherches environnementales pour «les choses » de la nature. - 2. L’évolution conjointe des composantes du binôme de res naturales. - 2. 1. La res: un processus de différentiation d’une polysémie initiale. - 2.1.2. Aristote et l’anatomie de la res. - 2. 2. La natura entre le fas, le ius naturale et le ius civil. - 2.2.1. Du fas au ius naturale; - 2.2.2. Les res naturales entre le ius naturale et le ius civile. - 2.2.2.1. De la possession naturelle au dominium. - 3. Les formes d’intégration des res naturales dans le dominium. - 3.1. La possession naturelle comme forme spécifique d’appropriation des res naturales. - 3.1.1: Dominiumque rerum ex naturali possessione coepisse. - 3.2. Un processus de fusion des diverses formes d’acquisition du dominium. - 3.3. Praescriptio longae possessionis: la mer et le littoral. - 4. Conclusion: le fonctionnement du binôme des res naturales. - 4.1. Des res objet/sujet/concept aux res – espace/milieu. - 4.2. Les Riparia et les res naturales.
1. Introduction: Tendances récentes de la recherche sur les res «choses» et la natura
La notion de res (la chose) s’applique à un nombre infini de référents qu’elle peut, soit qualifier[1], soit signifier pour l’ensemble des relations sociales[2], soit pour classifier les différentes catégories de droit[3], voire même pour s’assimiler avec le procès juridique[4]. Ses multiples acceptions conduisent à des conclusions radicalement différentes : d’une part, infirmer au terme res une identité sémantique propre, ou bien envisager, de l’autre, la «réité» au centre des relations sociales et des actions.
Qui plus est, l’idée d’une res fluide qui ne peut pas faire office en soi, ni d’objet, ni de sujet, voire de concept, prévaut parmi des chercheurs d’horizons divers[5], mais qui ne prennent pas en compte l’origine et l’évolution de son emploi depuis l’histoire archaïque de Rome, afin d’établir son ontologie et ses potentialités de générer des concepts.
En fait, le formalisme antique romain confère déjà une identité spécifique à la res qui évolue parallèlement avec le jusnaturalisme romain[6]. C’est dans cette perspective qu’il nous intéresse ici sa capacité de justifier la construction du binôme de res naturales comme référent de la gestion des ressources naturelles. Cela d’autant plus que les res naturales n’ont pas figuré jusqu’à récemment dans cette multitude d’emploi du terme, puisqu’elles expriment l’état naturel des choses appliqué à d’autres notions fonctionnelles développées par les diverses disciplines pour rendre le rapport des choses avec la nature.
En revanche, des recherches récentes établissent un rapport interrelationnel entre les deux termes, en les envisageant conjointement comme « les choses de la nature », donc des res naturales. Cette fusion entre les choses et la nature, désigne d’emblée les ressources naturelles comme l’objet d’une catégorie à part et incite à discerner les conséquences des modifications de leur l’état naturel initial et à mesurer les constances et les changements par rapport aux principes de gestion leur conférant successivement la valeur d’objet, de sujet, voire de concept.
Cette question se justifie, aussi bien par le renouveau d’intérêt pour l’épistémologie de la réité, au centre des relations sociales, l’objet d’étude des sciences sociales[7], que pour son ontologie identifiée par la philosophie du droit[8], approches qui gagnent aujourd’hui de l’intérêt par le développement du droit environnemental.
1.1. Une nouvelle conception de la res
En l’occurrence et en se basant sur la philosophie du droit, une thèse récente envisage la valeur utilitaire et instrumentale de la res pour la substituer à la conception substantielle et matérielle de la res en droit romain. S. Vanuxem s’applique ainsi à configurer l’organisation spatiale de la res en fonction de sa destination qui est une représentation de la chose en fonction de son utilité et de l’assemblage de ses diverses affectations au même usage[9].
De ce fait, l’auteure identifie des étapes qui transforment en premier lieu l’utilité de la chose en « chose-rassemblement » avec ses diverses affectations, en lui conférant une finalité plus large et le caractère normatif d’un lieu. Pour ce faire, elle regroupe les diverses affectations de la res en fonction de leur utilité, en les envisageant ainsi comme un milieu qui aboutit à leur organisation spatiale[10]. Par ailleurs, selon S. Vanuxem, la notion de destination de la res oriente deux formes de propriété : de substance naturelle par accession, d’une part, et de substance accessoire par destination, de l’autre. Sa recherche, basé sur le droit moderne européen issu du Code Napoléon puise ses fondements dans le jusnaturalisme romain influencé notamment par les principes d’Aristote. La juriste ouvre en fait de nouveaux horizons pour évaluer les évolutions des res elles-mêmes dans l’esprit de la continuité de l’héritage de la tradition matérielle du droit romain, mais qui se veut également utilitaire dans ses principes de gestion. Son mérite est d’aboutir à l’organisation spatiale des affectations de la res en fonction de l’utilité de celle-ci qui conduit à rechercher son signifiant et non son vide sémantique issu des concepts socio-politiques comme la res publica. Cette conception des choses est également suggestive pour la recherche des éléments analogiques de la res dans le monde romain où les assemblages et les différentiations se font en confrontation avec les différentes branches du ius civile - ius naturale et ius gentium -. Elle incite ainsi à identifier les éléments de l’espace qui composent la res, à savoir son environnement immédiat et à plus longue distance. La question est d’autant plus pertinente pour les concepts de res communes, publica et privata hérités par la civilisation occidentale et dont la res est envisagée en tant que qualificatif de la deuxième composante des binômes en question. Ces notions ont fait l’objet des travaux récentes visant à cerner l’évolutionà Rome de la notion de res publica face aux prototypes élaborés par la civilisation occidentale d’un régime politique, de la propriété publique et d’un idéal moral[11]. Par ailleurs, la mythologie de l’âge d’or du régime communautaire et de l’origine de propriété privée a été au cœur des préoccupations des grands penseurs de l’humanité, philosophes, juristes et historiens[12]. Cet angle d’analyse est sans doute important pour redimensionner la portée acquise par ces notions dans l’histoire universelle en référence au passé romain, car le retour aux sources invite également à identifier l’évolution de ces concepts dans le contexte romain. Cependant, le processus qualificatif de la res orienté par le deuxième terme du binôme − communis, publicus, privatus − occulte l’ontologie de la res elle-même qui se fonde ainsi dans la signification globale des concepts en question.
1.2. Un regain d’intérêt des recherches environnementales pour les choses de la nature et le droit romain
D’ailleurs, la question des res naturales est de grande actualité pour la gestion environnementale, qui l’envisage en termes des ressources naturelles présentes dans la nature et qui peuvent être exploitées par l’homme. La principale préoccupation de cette gestion environnementale est leur gestion durable par la gouvernance, la législation équitable, la connaissance de leur état, de leur disponibilité et renouvellement. Cette approche a gagné l’intérêt des juristes qui évoquent les res communes du droit romain comme forme de propriété adéquate pour les res naturales, tout en suggérant d’adopter les pratiques de l’usufruit pour assurer la conservation de l’environnement[13]. Bien que les divers aspects de la question aient été abordés par les romanistes, ils s’intéressent spécialement aux utilisations du concept romain de res communis omnium dans des situations modernes qui ne correspondent, ni à ses conditions de production, ni à sa signification en droit romain[14].
Le droit romain de propriété apparaît ainsi une clé de lecture pour établir le lien entre les conceptions antiques et les exigences modernes pour la conservation de l’environnement. Cette constatation nous invite à retourner aux sources romaines pour identifier en premier lieu l’origine des res communes, ainsi que leurs formes d’appropriation, malgré leur destination initiale d’être communes à tous. On s’interrogera ainsi surl’existence des formes de propriété appropriées comme un trait spécifique de cette catégorie collective des res. En fin de compte, les tendances récentes de la recherche sur la res ramènent aux origines qui plongent leurs racines dans l’effort classificatoire du droit romain en binômes. Dans cet esprit, la recherche de l’articulation des deux notions du binôme − res naturales − à l’instar d’autres exemples techniques utilisés par le droit (ex. : res corporales, incorporales, commercium, etc.) ou épistémologiques (res communes, res publicae) − pour en faire une catégorie collective spécifique se trouve justifiée. Quel est le rapport que ce syntagme entretient avec ces autres binômes avec lesquels il partage des aspects communs, sans être identiques et qui justifie la structuration d’une catégorie de res naturales par un processus de différentiation ? Quelles sont les circonstances qui conduisent à circonscrire ses conditions de production et à identifier ses particularités à partir du milieu transitoire entre la terre et l’eau qui sont les rives des fleuves ou les rivages de la mer?
Nous tenterons dans les pages qui suivent d’apporter quelques éléments de réponse à ce faisceau de questions, en examinant en premier lieu l’évolution conjointe des deux composantes du binôme de res naturales pour identifier l’origine du processus qui leur confère une identité spécifique commune (§2). Il nous intéresse ainsi dans quelle mesure cette identité spécifique se concrétise dans le cas des rives des fleuves publics comme paradigme pour le littoral (§3) pour pouvoir envisager comment ces deux formes de Riparia se confortent réciproquement pour envisager les ressources en eau comme une catégorie collective des res naturales (§4).
2. L’évolution conjointe des deux composantes du binôme res naturales
Il s’agit ainsi de cerner la spécificité des res naturales comme catégorie qui existe dans la nature sans être dite ou définie et qui se construit à partir du fonctionnement des deux composantes du binôme, reconnaître ses constantes, ses évolutions ou « métamorphoses » lorsque la res agit successivement en tant qu’objet, sujet et concept et que la natura la conditionne comme son espace. En paraphrasant les images suggestives proposés par le philosophe M. Heidegger[15], il s’agit de saisir la « choséité » de la cruche qui rassemble et unit le liquide qui la contient par les modes de son déversement, ainsi que la nature qui emboîte le pont, tout en marquant son espace.
2.1. La res: un processus de différentiation d’une polysémie initiale
La polysémie des mots réside dans leur capacité d’inclure dans une acception générale des notions de nature diverse. Elles peuvent également se subdiviser en catégories spécifiques se définissant par les différences entre elles. Selon P. Catalano[16], le système partitif est de tradition pontificale. Il aurait pu s’appliquer à la res dans toutes ses acceptions, car les Prudentes d’époque tardive discutent encore de la nature de sa partition[17]. Dans les faits, me semble-t-il,la jurisprudence classique aurait connu deux modes de division de la res qui ne s’excluent pas; ainsi, selon la tradition ancienne, la res se configurecomme objet/sujet voire comme concept d’une part, et de l’autre, comme une res décomposée dans ses parties constituantes selon la forma ou species sous l’influence hellénistique. En réalité, ces deux formes de division se rejoignent pour conférer à la res une ontologie propre composée des deux composantes: la substantialité et les représentations sociales qui agissent selon les circonstances.
En premier lieu, le formalisme et le symbolisme qui légalisent les diverses activités sociales de la Rome archaïque avec la matérialité de la res confère à celle-ci le statut d’objet et de sujet à la fois, mais qui renferme l’essence même du concept de dominium du ius civile. Nous nous limitons ici à deux exemples significatifs. Ainsi, l’acte de vente primitif (mancipium) est une expression du pouvoir qui se transfère avec la propriété de l’objet par le rituel de conserere manum[18], tandis que la déclaration des guerres par la pratique du rituel des fétiaux dans des territoires ennemis, réels ou fictifs, est une prise en possession virtuelle du territoire ennemi[19]. Si la pratique primitive de conserere manum est devenue une expression de droit pour la prise de possession d’un objet ou d’une personne, le rituel des fétiaux est devenu une pratique sélective comme expression des visées impérialistes romaines pour justifier la conquête par des guerres justes, car conformes à ce rituel. Dans les deux cas, l’ontologie de la res réside dans les représentations sociales de sa matérialité.
Comment cette ontologie de la res se concilie-t-elle avec la pénétration du jusnaturalisme sous l’influence de la doctrine d’Aristote qui procède à l’anatomie de la res par un processus de différentiation de ses composantes?
2.1.2. Aristote et l’anatomie de la res
En effet, selon Aristote, « la chose » se définit par ses différences et la dernière d’entre elles lui confère l’individualité et son affectation à une classe de choses[20]. Ce principe se justifie aussi bien par la polysémie de la notion de la res elle-même, capable d’endosser différents signifiants, que par les composants de sa propre structure : la materia, la forma et la substance. En l’occurrence, les cercles intellectuels à Rome durant la République, d’allégeance stoïcienne ou épicurienne, reconnaissent, à l’instar d’Aristote, la res comme une entité matérielle structurée. Dans cette ossature, la substantia estune combinaison variable des deux composantes précédentes− la materia et la forma − auxquelles s’ajoutent des attributs qualificatifs. Les deux courants intellectuels de la fin de la République ne remettent pas en question cette structure, mais identifient différemment l’élément qui génère la différentiation. Ainsi, pour la doctrine stoïcienne, la materia est le principe qui détermine la forma, mais dans la pensée épicurienne, la forma ou species, métamorphose la materia. Avec les deux écoles juridiques, Sabinienne et Proculienne du début du Principat, la primauté de la forma qui conserve la materiatout en la métamorphosant, ne semble plus faire d’opposition[21]. Cependant, cette influence hellénistique ne s’implante pas en terrain vierge, car le système partitif était bien ancré dans l’organisation du monde romain des res pour concevoir le découpage en parties, leur inclusion ou leur hiérarchie[22].
En se référant à l’importance de la res en droit, Y. Thomas considère qu’elle s’identifie avec la qualification du procès (causa): «le droit appelle res les choses auxquelles il avait affaire»[23]. Or, la nature holistique de la res ne se limite pas au droit, mais agit en tant qu’objet dans d’autres constellations sociétales et nous nous référons ici aux aspects patrimoniaux, d’échanges et de relations internationales[24], qui peuvent également agir sur la causa.
En fait, toutes ces approches reposent sur une conception substantialiste de «la chose», qui concèdent, selon Y. Thomas, l’utilisation indifférente des deux vocables similaires, qui ne sont pourtant pas identiques. Ce romaniste évoque ainsi la cas de la causa qui s’identifie à la res, au point de s’y substituer dans les procès, car «la chose» est celle dont a à faire. Cependant la substitution de la res par la causa ne remplace pas le potentiel ontologique de la res, notamment lorsque l’objet du litige est relatif aux ressources naturelles désignées désormais comme des res naturales, dont l’un des traits caractéristiques est le caractère mouvant des éléments de la structure de la res et sa précarité en raison des conditions climatiques. L’hypothèse d’une classe de res naturales incite à envisager le fonctionnement de la res dans le cadre du binôme de res naturales, dont chaque terme influence réciproquement l’autre. Après avoir tracé les marques ontologiques de la res, à partir de la matérialité de l’objet qui revêt également un signifiant social inscrit dans le ius civile, il convient d’envisager les caractéristiques du deuxième terme du binôme, la natura, son droit et sa loi dans son évolution historique et son rôle dans le fonctionnement du bînome, qui puisse identifier les traits distinctifs d’une classe spécifique des res naturales.
2.2. La natura entre le fas, le ius naturale et le ius civile
2.2.1. Du fas au ius naturale
En l’occurrence, le fas est le droit établi par les dieux pour régir l’ordre dans l’univers par un ensemble de concepts religieux et moraux[25]. Le fas est également à l’origine de la science augurale qui étudie les phénomènes de la nature, les vents, la pluie, les tremblements de terre et les éclipses[26] et il a inspiré la science gromatique de la gestion des territoires[27]. Le fas est d’ailleurs défini comme ius naturale : Fas obstat iura naturae (Serv. Ad Aen. VI. 438) et a déjà conçu les notions de base qui gèrent les rapports de l’homme avec la natura : la natura loci spécialement désignée à mesurer les différences climatiques locales[28], et le vitium loci l’altération des loca pour des raisons climatiques et humaines[29], pour être au cœur des deux ancestrales actions populaires[30].
De plus,la loi naturelle, héritière du fas[31], établit les res communes comme un droit de la nature, elle-même un milieu à l’origine des changements climatiques. L’héritage de ces connaissances et de ces concepts éthico-moraux ont été transmis au ius naturale archaïque qui substitue la loi naturelle à la volonté des dieux pour définir son droit pour la gestion des res.
En l’occurrence, la conception même du ius naturale comme héritage du droit sacré, incite également à individualiser une catégorie spécifique des res naturales en termes des choses de la nature elle-même et non pas en fonction des divers binômes reliés à la nature. Son ossature est construite déjà par les deux principes de natura loci et vitium loci conditionnés par la salubritas de la terre comme un être vivant tributaire des conditions climatiques mouvantes.
2.2.2. Les res naturales entre le ius naturales et le ius civile
En effet, la salubritas[32], par le biais des servitudes prédiales, est conditionée par les bonnes conditions climatiques de la terre à l’origine de la gestion du territoire. Les servitudes prédiales relèvent du ius naturale : ainsi la servitude de l’eau était déterminée par les conditions naturelles de l’eau[33].
Avec l’essor du jusnaturalisme à partir de la fin de la République s’ajoute également le concept privilégié notamment par Cicéron de la naturalis ratio. À cette époque, Cicéron est le promoteur d’une réflexion éthico-philosophiquequi trace les assises théoriques del’intégration du ius naturale dans le ius civile. Il consacre ainsi au ius naturale ses réflexions en définissant la loi naturelle comme génératrice des paramètres de gestion[34] par la naturalis ratio comme le fondement philosophique des normes communes du comportement humain, tout en adoptant ses principes du processus de l’intégration du ius naturale dans le ius civile[35].
C’est le fonctionnement collectif de ces concepts - la natura loci comme facteur de différentiation, car il se réfère aux conditions climatiques locales, sa conservation assurée par la salubritas de la terre pour éviter le vitium loci -. Ces principes conduisent à concevoir les conditions de production d’une classe de choses des res naturales qui garde la prééminence du ius naturale sur le ius civile[36].
En l’occurrence la préséance de la loi de la nature sur les autres branches du droit, concède au ius naturale les moyens de s’épanouir dans l’esprit du changement qui contribue à structurer le binôme des res naturales par la fusion de l’évolution de chacune de ses deux composantes. En d’autres mots et dans l’esprit du débat épistémologique ouvert par Aristote quant à l’ontologie de la res et le dialogue qui s’en suivit dans les milieux intellectuels à Rome, c’est la loi de la nature qui privilégie le facteur climatique comme facteur du changement, en modifiant la forma et en métamorphosant la materia des res naturale.
L’intégration dans le dominium promue par le ius civile, doit ainsi tenir compte des conséquences des modifications de leur l’état naturel initial et mesurer les constances et les changements par rapport aux principes de gestion en fonction du rôle actif destiné aux res naturales. Dans les circonstances les res naturales ont hérité du ius naturale la communauté d’usage des res communes, tandis que la propriété est le résultat d’un processus d’appropriation du territoire et de ses ressources naturelles.
2.2.2.1. De la possession naturelle au dominium
Une définition tardive et synthétique du ius naturale d’Isidore Orig. V. 4[37] affirme la transformation des res communes en propriété du droit civil en vertu de leur état de possession naturelle. En effet, Isidore de Séville, cet ecclésiastique et encyclopédiste du VIIe siècle, exprime la prééminence du ius naturale sur le ius civile par le fait de dériver du droit de la nature et non pas des institutions (quod ubique instinctu naturae, non constitutione aliqua habetur). Commun à toutes les nations (est commune omnium nationum), le ius naturale assure à tous la possession de l’écosystème(communis a omnium possessio) qui conduit à la propriété de ce qui appartient au milieu naturel de l’univers adquisitio eorum quae caelo, terra marique), dans un esprit d’équité et de justice (numquam iniustum est, sed naturale aequumque habetur).
Cette définition d’Isidore de Séville, reprend des propos des juristes classiques sur le ius naturale - Ulpien, (D.1.1.1.3) et Justinien (Inst.1.2.pr.), mais laisse deviner que la possession naturelle est la seule forme d’appropriation des res communes que le droit civil a hérité sans faire recours aux formes intermédiaires conduisant à la propriété. De plus, il se fait également l’écho des propos de Gaius, D. 41. 1. 7, infra n. 49, qui identifie les res naturales. S’agit-il des propres réflexions d’un érudit soucieux de transmettre à sa génération sa vision de l’héritage culturel romain, comme on l’envisage souvent[38]?
Cette question reste à vérifier par la confrontation des deux auteurs presque contemporains, entre la République et le Principat, qui s’intéressent également à l’origine de la propriété privée: Cicéron, homme politique et avocat àsuccès au dernier siècle républicain et Nerva le Jeune, un juriste peu connu du début du Principat.
3. Les formes d’intégration des res naturales dans le dominium
C’est dans l’esprit de la recherche de l’ultime différence qui donne la spécificité aux res naturales, selon le principe d’Aristote[39], qu’un regard neuf sur les mêmes sources abondamment commentées nous incite à rechercher les indices sur les modalités d’appropriation des res communes et leur intégration dans le dominium, afin de dégager la spécificité des res naturales par rapport aux autres res communes ou des res publica.
En tentant de dresser une trame historique à partir des témoignages espacés dans le temps, nous envisageons de discerner les continuités et les changements qui se reflètent dans la pluralité des droits que comporte la domanialité par l’intégration des « existants territoriaux dans lesquels le droit n’est pas le même »[40], mais dont « le dominium remplit la fonction logique de rassembleur de la diversité des espaces et de leurs droits » [41].
3.1. La possession naturelle et le dominium des res naturales
Deux textes rapprochés dans le temps, l’un d’inspiration stoïcienne du républicain Cicéron et l’autre du juriste Nerva le Jeune, d’allégeance proculienne au début du Principat, se complètent pour décrire les mêmes modalités d’appropriation des res communes qui conduisent à la possession naturelle des res naturales: Cicéron, De off., 1, 20-21: deinde ut communibus pro communibus utatur, privatis ut suis. Sunt autem privata nulla natura, sed aut vetere occupatione, ut qui quondam in vacua venerunt, aut victoria, ut qui bello potiti sunt, aut lege, pactione, condicione, sorte….
Ce texte fait l’apologie de la propriété privée issue des res communes (deinde ut communibus pro communibus utatur, privatis ut suis). La «longue occupation» apparaît comme le premier jalon d’une chaîne historique conférant le dominium aux terres devenues vacantes, mais sans évoquer la raison de cet état (sunt autem privata nulla natura, sed aut vetere occupatione, ut qui quondam in vacua venerunt). Les visées impérialistes, qui justifient le dominium issu de la victoire ou le droit de guerre et pouvant rendre les terres vacantes, sont évoquées plutôt comme une alternative (aut victoria, ut qui bello potiti sunt). Il s’en suit une liste des options élaborées au cours de l’histoire pour accéder au dominium : la loi, le contrat, la convention, le partage (aut lege, pactione, condicione, sorte).
Il s’agit, à mon sens, de l’utilisation des terminologies communes du droit civil, mais qui ne revêtent pas la même acception, car «la longue occupation» dispense de la pratique de l’usucapio du droit civil, nécessaire pour accéder à la propriété, après une période de deux ans d’occupation. Sa signification est à rechercher dans la structure de l’énoncé de Cicéron lui-même pour pouvoir confronter ces données avec les propos de Nerva le Jeune.
En effet, la «longue occupation» et les guerres de conquêtes sont deux options parallèles qui débutent la série développée au fil du temps sur les modes d’appropriation et d’acquisition de la propriété. Lui sont-elles équivalentes ? P. Garsney[42] procède à une comparaison avec la vision du philosophe et juriste S. Pufendorf, De iure naturae et Gentium, Lund, 1672, sur les sociétés négatives qui peuvent autoriser la vetus occupatio comme des res nullius. Toutefois, cette fiction juridique, qui n’est pas mentionnée par Cicéron, s’applique aux choses disponibles, contrairement aux res communes et elle n’est pas, non plus, équivalente à l’ager vacuus, terme employé pour la conquête par Rome des terres gentilices du Latium, transformées en ager publicus et non pas en propriété privée. En réalité la formule complète qui décrit les conquêtes romaines dans le Latium réunit les deux options de Cicéron: ager vacuus, nuper ex hostibus captus, TiteLive 4.51.6, pour décrire en même temps les conditions des terres et leur justification. Les deux premières options de Cicéron d’acquérir la propriété privée, confortent deux éléments distincts de ces réalités antiques: d’une part, l’indépendance de toute contrainte économique et sociale grévant l’ager vacuus, et le préalable des confiscations et des exterminations systématiques de leurs occupants inhérentes pour justifier leur occupatio, de l’autre[43]. Le véritable sens de la « longue occupation» de Cicéron, qui n'est pas le résultat des guerres de conquête et qui conduit sans intermédiaire à la propriété,est à chercher ailleurs.
En effet, c’est le fragment rapporté par le juriste sévérien, Paul, et attribué à Nerva le Jeune, fils de Nerva qui a fondé l’école proculienne, qui aurait donné le sens à « la longue occupation » de Cicéron, comme forme d’appropriation des possessions naturelles: D.41.2.2.1, Paul 54 ad. edict: Dominiumque rerum ex naturali possessione coepisse Nerva filius ait eiusque rei vestigium remanere in his, quae terra mari caeloque capiuntur: nam haec protinus eorum fiunt, qui primi possessionem eorum adprehenderint. Item bello capta et insula in mari enata et gemmae lapilli margaritae in litoribus inventae eius fiunt, qui primus eorum possessionem nanctus est.
En l’occurrence, le juriste Nerva le Jeune définit le processus de l’acquisition du dominium en commençant par 1) la possession naturelle(ex naturali possessione coepisse), des choses provenant du milieu naturel (quae terra mari caeloque capiuntur), avec la priorité au premier occupant(qui primi possessionem eorum adprehenderint); 2) auquel il associe de nouveaux objets échoués sur le littoral par le mouvements des vagues de la mer et (insula in mari enata et gemmae lapilli margaritae in litoribus inventae eius fiunt). L’invocation du butin de guerre (item bello capta) pour des nouvelles res (insula) ou pour les objets accessoires au littoral conduit à les convertir à la même condition de possession naturelle qui suit le même principe qui primus eorum possessionem nanctus est. Cette association assure-t-elle automatiquement le dominium pourcette deuxième catégorie?
Les Commentateurs récents de ces deux passages[44] ont signalé le manque de légitimation de l’occupation des res communes en imputant l’utilisation indifférente des termes commun/publique/privé au manque de doctrine juridique à cette époque sur l’intégration du monde naturel accessible à tous au droit civil fondé sur son appropriation pour justifier la propriété privée. Cette dichotomie commun -privé est pourtant réductrice, car le sens des associations auxquelles procèdent, aussi bien chez Cicéron que chez Nerva le Jeune, n’est pas fortuit. Il exprime l’adaptation par étapes aux possibilités offertes par la possession naturelle et conférées par le ius naturale de convertir la res en propriété privée par le biais des formes d’occupation précaires. Il est ainsi significatif à mon sens que Nerva ne fasse pas appel à la fiction juridique de res nullius qui permet d’acquérir automatiquement le dominium pour les choses qui n’appartient à personne et aptes à l’appropriation, alors que les res communes n’y sont pas accessibles. Pourtant et selon les dires de Gaius, cette fiction juridique semble déjà conçue à cette époque par l’école proculienne, dont Nerva le Jeune faisait partie comme son père le fondateur: Cum quis ex aliena materia speciem aliquam suo nomine fecerit, Nerva et Proculus putant hunc dominum esse qui fecerit, quia quod factum est, antea nullius fuerat,D.4.17. (Gai ad cott. 2).
L’intérêt particulier de Nerva pourla mer engendrant des res nouvelles, qui suivent les mêmes principes de la possession naturelle du droit du premier occupant, cacherait à mon sens l’essence de la pensée de Nerva le Jeune. La deuxième catégorie d’acquisition de la propriété − le butin de guerre – n’utilise pas, non plus, la fiction de res nullius pour justifier la propriété des objets accessoires au littoral, lui-même une possession naturelle. Toutefois il ne discute, ni le statut du littoral, ni celui de la mer qui est inexistant à l’époque prélégislative, mais signale, à l’instar du butin de guerre, des îles formées suite aux intempéries (in mari enata), ainsi que les objets échoués sur le littoral, phénomènes naturels quel que soit leur statut et dont la nature moins précaire conduit au dominium comme le butin de guerre. Cette éventualité laisse croire que la fiction de res nullius ne s’appliquait pas encore aux res communes, non accessibles.
Qui plus en est, ce texte nous semble corroborer la vision d’une chose-milieu, à la fois habitat et environnement, évoquée par S. Vanuxem, supra. Il met également en cause les changements climatiques et les inondations fréquentes, entre la fin de la République et le début de l’Empire, qui ont un impact sur la mer comme sur les fleuves et provoquent par la force des vagues la formation des îles et le dépôt des objets sur le littoral. Ce passage apparaît ainsi un témoignage authentique des débats de cette époque sur le statut du littoral[45], alors que le maquillage avec des formules courantes du droit civil ne cache pas l’origine antérieure de l’état décrit.
En effet, Paul, en rapportant les propos de Nerva le Jeune ne brise pas cette complémentarité entre ce juriste et l’homme politique, Cicéron, tout en précisant le sens de la « la longue occupation » comme possession naturelle. La formulation à première vue rhétorique (quae terra mari caeloque capiuntur) met en cause les éléments primaires de la naturecomme source des res naturales. Elle suggère l’écosystème comme leur l’espace, tout comme l’usage métaphorique du pont dans l’esprit du philosophe Heidegger qui envisage ainsi la res comme milieu[46].
Il s’agirait en tout cas d’une première tentative de définir la possession naturelle comme caractéristique des res naturales par le biais des différentes formes d’acquisition de leur dominium, dont les détails méritent un regard plus attentif:
3.1.1.Dominiumque rerum ex naturali possessione coepisse
La possession naturelle apparaît ainsi comme la première étape de l’acquisition du dominium, ayant à l’origine les res naturales.
Qui primi possessionem eorum adprehenderint:
En donnant la priorité au premier occupant des res naturales, Nerva le Jeune fait état de la double nature de la légitimité de l’appropriation-possession, pour des raisons naturelles, d’une part, et de l’autre, par la force des armes (bello capto). Bien que le dénominateur commun soit le droit du premier occupant, il s’agit cependant des deux principes parallèles de l’acquisition de la propriété par rapport à la nature de la res elle-même, instantanément pour les res naturales par accession et accessoirement pour les nouvelles res. Le principe de bello capto justifie l’acquisition de ces nouvelles res: les îles qui naissent de la mer, les perles et les pierres précieuses trouvées sur le littoral: et insula in mari enata et gemmae lapilli margaritae in litoribus inventae eius fiunt.
Il s’agit dans ce cas des changements de la substance de la natura loci, que la doctrine moderne, nous l’avons vu, définit comme propriété par destination, à savoir la modification de la substance des choses avec des accessoires, contrairement à la propriété par accession, issue de l’union organique avec des prolongements territoriaux comme dans le cas des alluvionnements et la consolidation des rives des fleuves. Le droit romain a résolu le problème dans le cas de l’alluvionnement des fleuves, en identifiant deux cas de figure : inundatio et alvei mutatio. Cette analogie de situation nous incite à supposer que le littoral en question s’identifie à l’espace déferlé par les vagues de la mer, tout comme les rives des fleuves qui décrivent une bande de territoire vulnérable aux inondations, les Riparia. Le juriste intègre ainsi la possession naturelle de cette bande de territoire du littoral, celle où les objets accessoires ont échoué, dans le cadre du concept du dominium, en faisant abstraction du statut de la mer qui est res communes omnium ou du littoral de statut variable en fonction des avis des Prudentes.
Nerva filius ait eiusque rei vestigium remanere in his:
Nerva le jeune a bien prédit la destinée de l’état de possession naturelle comme susceptible de laisser des traces dans la jurisprudence, car son texte est effectivement repris à travers les âges. Ainsi le goût d’antiquaire de Florentinus au temps des Sévères[47] aurait conduit ce juriste à reproduire l’avis de Nerva le Jeune, tel qu’il fut transmis par Paul[48] et qui fut intégré par les Institutions de Justinien dans les mêmes termes:
Florentinus D.1.8.3: item lapilli, gemmae ceteraque, quae in litore inuenimus, iure naturali nostra statim fiunt.
Just. Inst. II, 1.18; Item lapilli gemmae et cetera quae in litore inveniuntur, iure naturali statim inventoris fiunt.
Justinien précise d’ailleurs le sens de l’association faite par Nerva des deux formes primitives de l’acquisition du dominium. Il s’agit, en effet, d’une occupation précaire par possession naturelle, tout comme celle de «quae ex hostibus captus » Just. Inst., 1.2.17 à l’instar des animaux: Just. Inst., 1.2.16., qui peut conduire à un retour à l’état d’antan (pristinum statum), mais sans établir l’équivalence entre la possession naturelle et le res nullius.
En définitive, Nerva le Jeune envisage la possession naturelle, tout comme le butin de guerre (in bello capto), comme deux formes primitives et parallèles d’appropriation des res qui conduisent à l’occupation du premier occupant. Il justifie la constatation de P. Garsney que, ni Cicéron, ni Nerva le Jeune, ne se soucient de légitimer l’occupation. La raison, me semble-t-il, découle du fait que la possession naturelle relève du ius naturale et ne répond pas aux normes de l’occupatio du dominium sur lequel elle a la préséance.
Toutefois, cette question aurait pu être envisagée déjà par les Prudentes depuis la République à propos des bêtes sauvages comme exemple par excellence des res naturales. En effet, ce débat rapporté par Gaius[49] sur l’acquisition de la propriété des bêtes sauvages met en cause, entre autres, le juriste Trébatius, contemporain de Cicéron, et qui engage également Florentinus au temps des Sévères, révèle que l’origine naturelle de la propriété pour les res naturales est un thème majeur du jusnaturalisme à travers les âges. En effet, le choix du thème des bêtes sauvages permet de mettre en valeur, non seulement la précarité de leur propriété, mais également la priorité du premier possesseur.
Par ailleurs, les exemples de Nerva le Jeune pourront illustrer le cas d’acquisition de la propriété par destination des res accessoires, échouées sur le littoral. Ce cas a été repris, aussi bien par Florentinus que par Justinien et corrobore, à mon sens, le cas étudié dans ce passage, celui de l’édifice construit sur le littoral public et qui a donné lieu à un long débat des juristes[50]. En somme, l’ensemble de ces données justifie l’intérêt des Prudentes de tout âge pour la bande littorale déferlée par les vagues − les Riparia −, comme avatar des res naturales communes à tous et en contact avec la mer qui garde ce statut.
Néanmoins, il faudra attendre Nératius au temps de Trajan pour établir des équivalences entre les diverses formes d’acquisition du dominium par l’intégration du littoral par le biais du res nullius, fiction juridique basée sur la naturalis ratio, supra, n. 49.
3.2. L’intégration des diverses formes d’acquisition du dominium
À ma connaissance, la doctrine juridique ne place pas Nerva le Jeune à l’origine d’une chaîne historique sur la question de la possession naturelle qui puisse évaluer, à travers d’autres témoignages y compris Nératius, les constances et les évolutions de cette condition dans l’examen des situations concrètes du littoral et par conséquent des Riparia, en général[51].
En effet Nératius[52], également adepte de l’école proculienne, confirme à l’époque de Trajan que la condition de la possession naturelle du littoral selon le ius naturale reste en vigueur au IIe siècle et il raisonne en termes des modes d’appropriation du droit civil, en abordant la question de la propriété des accessoires sur le littoral à partir de l’édification des constructions. Que dit-il?
Ce juriste établit qu’un édifice érigé sur le rivage appartient au constructeur, puisque le littoral reste public, bien qu’il soit exclu du patrimoine public : nam litora publica non ita sunt, ut ea, quae in patrimonio sunt populi, sed ut ea, quae primum a natura prodita sunt et in nullius adhuc dominium pervenerunt. Dans les faits, Nératius avait affirmé l’usage public du littoral, tout en lui refusant le statut patrimonial. Pour ce faire, il procède à un raisonnement par étapes : il établit en premier lieu la condition publique du littoral[53] et justifie son appropriation en fonction de la fiction juridique de res nullius (in nullius adhuc dominium pervenerunt) pour lui infirmer ensuite le statut patrimonial. Cette affirmation semble trouver l’explication dans la suite de ce fragment par l’analogie avec la condition de possession naturelle des poissons et des bêtes féroces qui sont envisagés comme des res naturales à l’instar du littoral (nec dissimilis condicio eorum est atque piscium et ferarum) quiassure l’occupatio du premier occupant.
Ce passage nous semble une clé de lecture pour les textes de Cicéron et de Nerva le Jeune commentés auparavant, ainsi que pour la question des constructions érigéessur le littoral, qui a préoccupé leurs successeurs. Nératius établit en fait l’équivalence de la possession naturelle des res naturales avec les normes du dominium, suggérée auparavant par Nerva le Jeune, mais sans y intégrer le littoral, cette bande de territoire déferlée par les vagues qui est publique. Il situe ainsi la condition de possession naturelle dans le champ sémantique des res nullius et non pas dans celui des res in publico usu[54]. Tout comme pour Nerva la question de la propriété est posée pour les constructions comme accessoires au littoral. Ce sont ces res qui sont envisagées comme res nullius et non pas les rivages eux-mêmes, devenus publics tout en restant en condition de possession naturelle. Cet état est justifié par la même condition de possession naturelle comme forme d’appropriation des oiseaux, poissons, bêtes sauvages et il corrobore également la vision récente des res comme milieu-habitat comme caractéristique des res naturales.
Cette suggestion se précise dans la suite du fragment, D.41.1.14. 1 avec l’application de cet avis de Nératius dans le cas de la destruction de l’édifice en question qui incite la réflexion sur la nature de la partie du littoral dont il a été élevé : cuius condicionis is locus sit [55]. La référence à la condition de possession naturelle est ainsi plus explicite pour justifier son jugement à propos du statut initial de l’occupatio, pourvu que cette place continue à faire partie du rivage : quod propius est, ut existimari debeat, si modo recipit pristinam litoris speciem. Ainsi la nature précaire de l’occupatio d’un espace mouvant entre la terre et l’eau, justifie sa possession naturelle, toujours précaire en fonction des imprévus de la nature, mais qui confère le droit du premier occupant.
Dans les faits, il n’y a pas de contradiction entre les deux jugements exposés par Nératius dans ce passage, car le propriétaire de l’édifice détruit sur le littoral public perd ses droits de premier occupant d’un espace devenu un res nullius, en raison de l’équivalence entre la possession naturelle et les res nullius, fiction juridique qu’il appliqua également au butin de guerre. Celsius son contemporain ne fait que confirmer cette conversion qui justifie l’occupatio : D. 41.1.51 (Celse, 2 Dig.): Et quae res hostiles apud nos sunt, non publicae, sed occupantium fiunt. Dans les deux cas, il s’agit de l’application d’une fiction juridique mise au point au début du Principat par l’école proculienne, mais dont la fusion avec le processus des conquêtes romaines, désigné auparavant par Cicéron comme ager vacuus, s’accomplit au deuxième siècle. La reprise de la question par Nératius à l’époque de Trajan, dévoile le processus d’uniformisation des diverses formes d’acquisition du dominium d’origine différente sous le sigle de res nullius. Cet éminent juriste et homme politique énumère séparément la justification de la propriété par le droit de guerre exprimé par la terminologie de la victoire, de celle acquise par le droit naturel, mais qui fusionnent dans la fiction juridique de res nullius.
Ces contingences expliquent à mon sens l’ordre établi par ces sources pour faire état d’une évolution dans la perception de l’acquisition de la propriété par droit naturel ou par le droit de guerre. Somme tout, Nératius établit l’équivalence entre les res communes avec accessibles à l’occupation et les res nullius qui le sont, afin de justifier l’occupatio de la possession naturelle, mais sans l’amalgamer avec le statut public. Cette occupation peut-elle conduire au dominium, selon le consensus de tous les textes examinés ici de Cicéron à Isidore de Séville? La problématique semble se préciser à l’époque des Sévères qui a fait l’objet des dispositions légales pour rendre public le littoral, dont les constructions avancent dans la mer pour promouvoir les activités lucratives impériales[56].
3.3. Praescriptio longae possessionis: la mer et le littoral
La prescription de Papinianus[57] justifie l’institution de la possession à longterme avec l’exemple du littoral qui ne peut pas avoir comme effet de faire acquérir les lieux, car ils sont publics par le droit des gens (loca iuris gentium publica concedi non solet). C’est ainsi que le célèbre juriste et préfet du prétoire de Septime Sévère justifie la perte du privilège du premier occupant (occupantis datam exceptionem opponat), si son édifice fut détruit ou abandonné si quis, aedificio funditus diruto quod in litore posuerat forte quod aut deposuerat aut dereliquerat aedificium), au profit d’un prochain aspirant qui a reconstruit sur le même lieu (alterius postea eodem loco extructo); Papinianus infirme également la réservation du droit de pêche par la construction d’une infrastructure sur un endroit précis des rivages en fonction du droit de possession du premier occupant (occupantis datam exceptionem opponat), car la mer garde le statut de res communes omnium[58]. En revanche, la justification est choisie par le droit de pêche sur les rives des fleuves publics, (si quis, quod in fluminis publici deverticulo solus pluribus annis piscatus sit, alterum eodem iure prohibeat). Et pour cause, les rives ne se prêtent pas à la confusion, car elles sont publiques comme le fleuve lui-même, à l’usage de tous, sans prérogatives du premier occupant.
Papinianus ne semble pas suivre, dans ce cas, la revalorisation accomplie à l’époque du ius naturale comme branche indépendante du ius civile et fait appel au ius gentium pour justifier le statut de loca publica : loca iuris gentium publica. De toute évidence le juriste sévérien établit la différence entre l’état public par ius gentium (les rivages de la mer qui gardent ce statut) et public par le ius civile (les rives du fleuve public). Sans entrer dans la complexité de ce texte débattu par les juristes, nous sommes plutôt tentées à rechercher des traces de l’institution de la possession naturelle des res naturales prédite par Nerva le Jeune au début du Principat, qui puisse jeter une lueur sur la pérennité des éléments des institutions anciennes, mise au service des procédures nouvelles et au cœur d’un discours argumentatif des Prudentes tardifs.
En premier lieu, Papinianus confirme que le littoral est la bande de territoire déferlée par les vagues de la mer et que la prescriptio en question était conçue en rapport avec le droit de pêche par la construction des infrastructures à cet effet sur le littoral. Cette infrastructure nous suggère d’emblée les objets accessoires sur le littoral: gemmae lapilli margaritae in litoribus inventae eius fiunt, stipulés par Nerva le Jeuneetqui pourraient être acquis en propriété par destination, selon la thèse de S. Vanuxem cit. Du coup, la reprise de cette formule par Florentinus D.1.8.3 et par Justinien, Inst. II.1.18[59], à première vue insignifiante et qui ne semble pas avoir attiré l’attention des commentateurs s’éclaire d’un jour nouveau, si l’on envisage sa valeur paradigmatique. En effet, la situation des perles et des pierres précieuses échouées sur le littoral n’est pas différente de celle de l’édifice érigé sur les rives comme la propriété du constructeur, mais édifié sur une res communes avec ses propres règles d’appropriation, à savoir le droit du premier occupant d’un territoire précaire en statut de possession naturelle selon le ius naturale. On comprend ainsi les raisons de Nératius qui lui infirme le statut patrimonial, en s’appuyant à cet effet sur le statut des bêtes sauvages et des poissons, comme exemple par excellence de la possession naturelle. Ce thème a d’ailleurs fait l’objet du dialogue des Prudentes à travers les âges, dont le républicain Trébatius, et Florentinus à l’époque des Sévères en font également état[60].
Nous retenons de ce passage la référence conjointe à la mer et au littoral aux fin des constructions pour l’exercice du droit de pêche qui a fait l’objet des dispositions légales à l’époque des Sévères, mais la verve du juriste dévoile toute la problématique de l’appropriation des res communes et la précarité de la possession naturelle des res naturales, dont les formes intermédiaires du dominium illustrent davantage leur domanialité: la règle du premier occupant, la propriété, soit par accession, soit par destination des choses afférentes, les différentes formes de l’usage commun comme le droit de pêche.
- Conclusion. Le fonctionnement du binôme de res naturales: les Riparia
La spécification des deux composantes du binôme de res naturales à l’instar des binômes qui ont défini des phénomènes complexes dans l’histoire, nous a incité ici à saisir les origines de la réflexion juridique qui associe les interactions de ses composantes au processus d’intégration du ius naturale au droit civil, par l’incorporation de la possession naturelle dans le dominium et les normes de propriété du droit civil. La trajectoire historique qu’on a tenté de tracer entre Nerva le Jeune et Papinianus porte les traces du jusnaturalisme qui se perpétue à travers les âges. Toutefois, le fonctionnement réciproque des composantes du binôme justifie l’identification d’une classe des res naturales qui en fait la symbiose et qui génère ses propres règles de fonctionnement, en commençant par le droit de propriété. Cette classe est associée à bien des égards aux Riparia, Elle engendre en premier lieu la notion d’espace en fonction du milieu pour la res pour perpétuer ensuite le cas de figure de la possession naturelle, du moins dans la casuistique juridique, par sa fusion avec le dominium en droit civil.
4.1. Les res de l’objet/sujet/concept aux res espace/milieu
Somme tout, le formalisme initial des protocoles pour les échanges et pour l’acquisition de la propriété à l’époque prélegislative transforme l’objet matériel de la res en instrumentum, dont il faut définir la materia, nous l’avons vu, afin de lui attribuer une valeur (pretium), ou bien une représentation sociale par la symbolique de la prise de possession prémonitoire de la conquête. Entre autres, ce sont deux voies différentes qui conduisent au concept du dominium avec une double acception de la res, de pouvoir et de propriété, en sa fonction d’objet/sujet qui représente la terre et ses ressources naturelles. Pour sa part, le droit naturel identifie tôt dans le milieu les conditions climatiques comme le facteur du changement et sa loi modèle des normes de gestion, en tenant compte du processus progressif d’intégration dans le ius civile. Nous le résumons ici par les concepts qu’il développe : ce processus progressif débute par le constat des conditions climatiques locales (natura loci), la nécessité de les conserver à la terre (salubritas) tout en prenant en compte le vitium loci. La naturalis ratio ajuste ces concepts à la loi naturelle tout en assurant au droit naturel la prééminence sur le droit civil qui modèle les droits réels et les servitudes prédiales et identifie, parmi les res communes, les res naturales qui obéissent à ces principes. D’ailleurs, l’ancestrale actio de aquae pluviae arcendae a gardé tous ces principes qui sont modulés selon l’évolution de la vision des Prudentes de leur temps. Tout comme pour l’actio de damno infecto les phénomènes naturels sont pris en compte incidemment comme l’une des causes de vitium loci. Par ailleurs, le facteur climatique identifie ces res naturales comme un espace vulnérable aux changements climatiques et désigne les Riparia comme le milieu par excellence d’une classe collective des res. Ses traits distinctifs pourront s’appliquer à d’autres groupes de res naturales qui portent les traces de l’intégration du ius naturale dans le ius civile par le biais de la possession naturelle et les droits du premier occupant.
Par ailleurs, l’évolution conjointe des composantes du binôme res naturales dégage non seulement des éléments substantiels, mais également utilitaires qui fusionnent dans un concept uniforme qui embrasse l’espace. On est tentée ainsi d’envisager les représentations sociales de l’acquisition de la propriété d’un territoire conçu dès l’époque archaïque comme des formes antiques équivalentes de la notion moderne de l’acquisition de la propriété d’une res par destination: ainsi le rite des fétiaux pour la prise de possession virtuelle du territoire, mais aussi la terminologie de la victoire: bellum captum qui justifient les conditions de sa possession future. Dans le même sens, on pourra compter les fictions de caractère juridique: l’ager vacuus en rapport avec la conquête, ensuite le res nullius qui généralise la justification des différentes formes d’acquisition de la propriété sans occulter leur origine. Enfin l’expression: gemmae lapilli margaritae in litoribus inventae eius fiunt, stipulée par Nerva le Jeunesur des objets qui pourraient être acquis en propriété par destination est transmise de génération en génération des Prudentes, pointe les bords de l’eau – les Riparia –, qui peut les contenir.
4.2. Les Riparia et les res naturales
Il reste enfin à s’interroger sous quelle forme l’esprit classificatoire du droit romain a pu intégrer le fonctionnement du binôme des res naturales qui porte les traces de l’appropriation de la propriété du droit naturel de la res en fonction du facteur climatique.
En effet, et compte tenu de son origine prélégislative, l’acquisition de la propriété n'est pas sujette aux normes du droit civil, mais elle apparaît comme une expression transitoire entre le dominium et la domanialité. Nerva le jeune a bien deviné cet état précaire qui fera l’objet des controverses de ses successeurs.
En effet et alors que ce juriste identifie au début du Principat la spécificité des res naturales comme possession naturelle, Nératius s’applique, un siècle plus tard, à fusionner les différentes formes d’acquisition du dominium et à valider la possession naturelle qui consent l’accès au dominium comme un res nullius sans passer par l’intermédiaire du ius civile. La progression de l’expansion impériale sur le littoral au temps des Sévères conduit Papinianus à argumenter son statut public, en s’appuyant sur les rives publiques. Il donne ainsi consistance au concept de Riparia comme la bande territoriale de toute source de l’eau pour justifier le droit de pêche sur les rivages en fonction du statut public des rives. Ce juriste justifie les Riparia comme des res naturales tout en enrichissant la fusion des formes du dominium établie par Nératius. Du coup, il entérine la validité de la description d’Isidore de Séville (supra) sur l’acquisition de la propriété de la possession naturelle par le biais du ius naturale sans aucune procédure intermédiaire.
Cette étude, si elle s’avérait plausible, pourrait également éclairer d’un jour nouveau l’authenticité des propos de Nerva le Jeune et de Nératius rapportés par Paul au temps de Sévères, sans fausser leur sens, tout en facilitant l’intégration de leurs témoignages dans la même trame reconstitutive depuis le temps de Cicéron jusqu’à Isidore de Séville à propos de l’acquisition par étapes du dominium par la possession naturelle sans faire recours aux normes du droit civil. Notre hypothèse d’un processus évolutif de l’intégration de la possession naturelle comme cas de figure du droit civil et en rapport avec une classe spécifique de Riparia − les bords de l’eau − suggère un dénominateur commun dans l’interprétation des propos énigmatiques des textes examinés ici qui élaborent autour d’une même constante: l’état de possession naturelle en fonction du facteur climatique. Il engendre des situations diverses de l’exercice du dominium, en mettant à l’épreuve l’ingéniosité des leurs commentateurs.
Ce fait ne fait que renforcer à mon sens une explication possible de la raison pour laquelle le droit romain n’identifie pas une classe spécifique de res à partir du binôme de res naturales, qui correspondrait aux Riparia, car celle-ci n’a pas, non plus une identité spécifique, à cause de son caractère de milieu transitoire entre la terre et l’eau, dont il faut délimiter l’espace et le statut. On se limite à identifier concrètement les res − fleuves, mers, précipitations. etc. − et l’état momentanée de la natura/vitium loci. L’identification des causes s’affirme au fil du temps comme justification du risque environnemental qui génère les actions de l’actio aquae pluviae arcendae et de damno infecto en étayant ainsi la dimension d’espace et de milieu de la res régie par le ius naturale.
En réalité, les Riparia sont des res naturales qui existent dans la nature sans qu’elles fassent l’objet d’une classification juridique. En effet, le droit romain identifie spécifiquement les res qui sont les composantes potentielles des Riparia ensemble avec l’élément naturel à prendre en compte, à savoir : l’eau courante, en fonction de naturaliter fluere, la terre par la natura loci ou vitium loci, natura agri, flumini, le climat selon la natura caelium. Cependant il s’agit du simple constat d’un état de fait, car l’idée d’un écosystème, lancée par les juristes qui font référence au processus d’appropriation des res naturales reste une formule rhétorique dans l’esprit du jusnaturalisme et non pas une dimension de la res elle-même. Il pourrait sans doute susciter une recherche des constances et les évolutions des deux composantes du binôme de res naturales pour reconstituer la substance d’une classe des res naturales comme un espace qui puisse promouvoir la conservation de la nature en termes de possession naturelle tributaire aux conditions climatiques.
Enfin, il nous semble que cette dimension évolutive de la conversion de la possession naturelle en propriété du droit civil à travers la notion ambivalente de propriété et de pouvoir du dominium, décrite par les sources analysées ici, situe le processus parallèle rapporté par Ulpien comme la conséquence, qui en fait le paradigme de propriété dans de la définition des biens naturels:"Bonorum" appellatio aut naturalis aut civilis est. Naturaliter bona ex eo dicuntur, quod beant, hoc est beatos faciunt: beare est prodesse. In bonis autem nostris computari sciendum est non solum, quae dominii nostri sunt, sed et si bona fide a nobis possideantur vel superficiaria sint. Aeque bonis adnumerabitur etiam, si quid est in actionibus petitionibus. persecutionibus: nam haec omnia in bonis esse videntur(D.50.16.49, Ulpien, 59 ad ed.).
Ce juriste place en effet la possession naturelle à l’origine de la notion de biens naturels, apte à coopter des procédures du droit civil comme la possession de bonne foi et tout ce qui est acquis par actions, demandes et poursuites.
La notion des biens a fait jurisprudence, car elle fut reprise également par les codifications modernes depuis le code Napoléon. Cependant l’appellation extensive des biens naturels décrite par Ulpien fait plutôt office d’une fiction juridique, puisque cette assimilation de procédures à la typologie de biens naturels ne réduit pas leur propriété aux caractéristiques de la possession naturelle soumises aux conditions naturelles précaires et aux droits réservés au premier occupant, exigences propres aux ressources naturelles et aux Riparia.
Abstract (ENG): The current interest in environmental law for res naturales leads to studying the ancient forms of interrelations between its two components. In this context, it was possible to highlight the ontology of res, often called into question, and the catalytic role of the climatic factor which construct the instruments of control and the precedence of ius naturale over civil law. The interference between the two components of the binomial results in the acceptance of space or environment of the res. From this interaction emerges a specific class of res naturales characterized by the precariousness of the property in a state of natural possession with the right of the first occupant. These observations allow a fresh look at texts which have long been discussed by the doctrine (Ciceron, De off.1, 20-21; Nerva the young, D.41.2.21, Paul.54; Papinianus, D.41.3.45) and individualize this space on the seashore of the with the Riparia, the waterside.
Keywords (ENG):fas, ius naturale, res naturales, res communes, dominium, natural possession, riparia.
* Université Laval - Canada (ella.hermon.1@ulaval.ca).
** Il contributo è stato sottoposto a double blind peer review.
[1] C. Moatti, Res publica. Histoire romaine de la chose publique, Paris, 2008, à la suite d’autres chercheurs de diverses disciplines. L’historienne considère la res – « la chose » comme un ensemble fluide et indéterminé qui n’est, ni objet, ni bien, ni concept dans la mesure où « la chose » n’est pas envisagée en termes de perception du savoir, du pouvoir ou de propriété dans un processus d’interaction de plusieurs acteurs. Cette dernière vision de représentation sociale propre au concept politique pourrait, à son sens, expliquer la nature de l’interrelation qui s’établit dans le cadre du binôme de res publica qui intéresse l’auteure, où la res est le contenant amorphe et la publica le contenu, lui-même polysémique. En revanche, cette nature pourrait être différente, si l’on considère les res naturales comme un binôme, dont l’interrelation s’établit en considérant la spécificité de chacune de ses deux composantes.
2 Il s’agit de l’approche des sciences sociales de la res, qui fut définie comme «réicentrisme» par P. Grossi, L’ordine giuridico medievale3 , Bari-Rome, 2017. Le médiéviste marque ainsi la rupture avec l’héritage de la culture juridique romaine présentée comme monolithique et pyramidale ayant à son sommet l’étatisme et le dominium à sa base. Le concept de «réicentrisme» dérive d’une approche naturaliste et communautariste pour désigner la fondation de l’expérience juridique protomédiévale, entre le Ve et le XIe siècles, au prix d’un vide juridique. Paolo Grossi attribue ainsi à la res un rapport particulier avec la nature par la matérialité des phénomènes, ainsi que par une approche holistique qui mélange sujets et objets dans une réalité cosmique. Cette démarche est originale, car elle donne l’autonomie du droit par rapport au pouvoir politique. En revanche, la rupture avec le monde colonial romain est moins radicale, car son histoire est basée sur le pluralisme juridique, expression des réalités coutumières, ainsi que sur des formes précaires de propriété, G. Chouquer, Les régimes de domanialité foncière dans le monde de l’Antiquité à nos jours: une proposition d’architecture juridique, 2022, ffhalshs-03836767f, p. 36 sqq. (consulté le 6.6. 2023).
[3] Il suffit de penser à la division tripartite des Institutions juridiques de Gaius: personae, res, actiones.
[4] Y. Thomas, Causa, sens et fonction d’un concept dans le langage du droit romain, (thèse), Paris, 1976, cit., S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, Paris, 2012, p. 17 ss. Selon cet auteur, la cause s’identifie à la res dans le sens d’affaire, controverse, litiges judiciaires, v. Y. Thomas, La valeur des choses. Le droit romain hors de la religion, in Annales HSS, 57 (2002), p. 1431 ss. L’auteur distingue cependant la portée des deux notions: la res renvoie à l’aspect matériel et concret des faits et la cause se réfère à l’aspect proprement juridique.
[5] Je renvoie ici aux références bibliographiques établies par S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 1, n.1, des juristes, des linguistes, voire également les définitions des dictionnaires, également C. Moatti, Res publica, cit., pp. 29-35, qui adhère à cette approche.
[6] M. Bretone, I fondamenti del diritto romano. Le cose e la natura, Roma-Bari, 1998, passe en revue les formes rituelles de gestion de la matérialité des res qui soulignent la valeur collective et générale de la notion. L’auteur envisage les «métamorphoses» des res en rapport avec les ressources naturelles, la terre, les fleuves, les précipitations, sans inclure dans cette série la mer qui peut subir des «métamorphoses» similaires aux fleuves. L’influence de la philosophie grecque érige la nature comme l’ordre rationnel du monde qui inspire le naturalisme éthico-juridique des Prudentes, mais les «métamorphoses» des res sont confrontées avec le principe du dominium et le droit civil qui puisent leurs racines dans le fas de la Rome archaïque.
[7] Supra, n. 2
[8] S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 2 ss. situe au cœur de cette approche deux conférences suggestives de M. Heidegger qui envisagent « la chose » comme un concept : la première représente «la chose» comme une cruche vide et le liquide qui la remplit désigne son contenu. Cependant le vide de la cruche n’est pas un simple contenant, car il représente « la choséité » par les diverses façons d’unir et de rassembler le liquide de nature différente, dont la combinaison est dévoilée lors de son déversement, «La chose», Essais et conférences, trad. de l’allemand par J. Beaufret, Paris, 1954, p. 194 ss. Une deuxième conférence intitulée «Bâtir, habiter, penser», Essais et Conférences, cit., p. 180 s., représente l’espace habité de toute chose qui génère les conditions de production d’un pont, infra, n. 9. Cette approche est suivie par d’autres philosophes du droit et par S. Vanuxem elle-même, Les choses saisies par la propriété, cit., pp. 1-2, nn. 3-6.
[9] S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 16 ss. La juriste illustre ses propos sur la construction de l’espace ayant comme point de départ l’exemple du pont présenté par M. Heidegger «Bâtir, habiter, penser», cité par S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 3, n. 13 : «Le pont ressort par son passage les rives qui amènent au fleuve toute l’étendue de l’arrière-pays. Par sa présence, le fleuve s’entoure des terres. Puis, le pont accueille les humeurs changeantes du ciel lorsqu’il se déverse sous ses arches». Sur le monde des objets et leur rapport avec la nature, voir également les réflexions philosophiques de R. Bodei, La vita delle cose, Roma, 2009.
[10] Sur les diverses étapes de la transformation de la chose utile en chose-milieu, S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 163 ss.
[11] C. Moatti, Res publica, cit., p. 312 ss., fait état de l’imprécision initiale des sources républicaines qui ne distinguent pas les res publicae des res communes.
[12] P. Garsney, Thinking about Proprety. From Antiquity to the Age of Revolution, Cambridge, 2007. La légitimation de la propriété privée préoccupe les grands penseurs, hommes politiques, théologiens et juristes à travers les âges et P. Garsney explore les anciens textes sur ses origines.
[13] Entre autres, F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, Paris, 1995; Id., Au-delà de l’objet et du sujet, un projet pour milieu, in F. Ost et S. Gutwirth (éd.), Quel avenir pour le droit de l’environnement? Bruxelles, 1996; Id., Le juste milieu. Pour une approche dialectique du rapport homme-nature, in P. Gérard, F. Ost et M. Van de Kerchove (éd.), Images et usages de la nature en droit, Bruxelles, 1993.
[14] Sur les origines de l’institution de res communes omnium, L. Solidoro Maruotti, «I cives e le acque», in Civis, civitas, libertas. Index per Franco Salerno (2011), p. 58 ss.; G. Purpura, «Liberum mare, acque territoriali e riserve di pesca nel mondo antico », Annali del seminario giuridico, 49 (2004), p. 165 ss.Sur l’impact de cette institution, D. Dursi, «Res communis omnium». Dalla necessità economiche alla disciplina giuridica, Napoli, 2017; R. Basile, «Res communes omnium»: Disciplina giuridica e profili (a-)sistemici, rec. a D. Dursi, «Res communis omnium». Dalla necessità economiche alla disciplina giuridica, in Index, 40 (2020), p. 305 ss. Pour la confrontation avec des institutions modernes, M. Falcon « Res communes omnium ». Vicende storiche e interesse attuale di una categoria romana, in L. Garofalo L. (a cura di), I beni di interesse pubblico nell’esperienza giuridica romana, I, Napoli, 2016, p. 107 ss.; M. Fiorentini, Spunti volanti in margine al problema dei beni comuni, in BIDR, 7 (2017), p. 75 ss.; Id., «Res communis omnium» e «commons». Contro un equivoco, BIDR, 9 (2019), p. 153 ss.; C. Carrasco García, «Public trust/«commons»: «Palingenesias» di una categoria giuridica romana ?, in Index, 40 (2020), p. 283 ss. Sur l’aspect environnemental, L. Solidoro Maruotti, La tutela dell’ambiente nella sua evoluzione storica, Torino, 2009.
[15] Supra, nn. 8-9.
[16] P. Catalano, La divisione del potere in Roma (à proposito di Polibio e di Catone), in Studi in onoredi G. Grosso, VI, Torino, 1974, p. 667 ss.
[17] M. Breton, Le cose e la natura, cit., pp. 182-187, relate la polémique entre les Prudentes républicains, Q. Mucius Scaevola et Servius Suplicius Rufus sur le rapport entre la pars et le totum, exposé par Paul D.50. 16. 25.1 (Paulus, 21 ad ed.). Parmi les alternatives possibles: la pars est la portion matérielle et divise de la chose qui est indivise dans sa totalité, comme l’assemblage des diverses parties, ou bien, la pars indivise (le totum) apparaît comme une représentation sociale des parties constituantes. Le savant italien suggère que les deux termes sont des représentations abstraites de la res, aussi bien des parties que de leur recomposition dans un tout.
[18]Les sources littéraires et juridiques décrivent l’institution, son champ d’action et son évolution, M. Bretone, Le cose e la natura, cit.,p. 46 ss.
[19] L’exercice du droit fétial pour la déclaration des guerres justes est un argument privilégié des thèses sur l’impérialisme défensif qui a dominé la recherche jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, sans mettre en évidence son utilisation sélective et justificatrice durant les grandes guerres de conquêtes républicaines qui ont bâti l’Empire jusqu’à Auguste, lorsqu’il devient un instrument de propagande, S. Albert, Bellum Iustum, Frankfort, 1980; E. Hermon, L’impérialisme romain et la formation de la province de Gaule transalpine, Archéologie en Languedoc, FAH, 24 (2000), p. 99 s ; M. Bretone, Le cose e la natura, cit., p. 50 ss.
[20] A. Jolin, Aristote. La Métaphysique, Paris, 1999, p. 41, et sur la spécificité des choses les unes par rapports aux autres, S. Vanuxem, Les choses saisies par la propriété, cit., p. 152, n. 532, p. 273 ss.
[21] M. Bretone, Le cose e la natura, cit., p. 73 ss. On ajoutera également le souci de définir les choses, R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, Milano, 1966, par le même procédé de décomposer les éléments qui interagissent, mais qui seraient également d’inspiration aristotélicienne, M. Bretone, Le cose e la natura, cit., p.174 et nn. 9-10. Sur les principes défendus par les deux Écoles, et la nature de leur controverse, P. Stein, The two schools of jurists in the early Roman Principate, CLJ, 31-1 (1972), p. 8 ss. Également M. Schermaier, Materia. Beiträge zur Frage der Naturphilosophie im klassischen römischen Recht, Wien, 1992 sur le concept de la materia et le jusnaturalisme.
[22] Supra, nn. 16-17.
[23] Y. Thomas, La valeur des choses, cit., met en évidence l’assimilation des deux termes; res et causa pour les affaires juridiques. Ce fait a été interprété comme une justification d’un manque d’ontologie propre de la res, C. Moatti, Res publica, cit., p. 29 ss. ; G. Chouquer, Code de droit agraire romain. Référents antiques pour le pluralisme et les anciens régimes fonciers, Paris, 2022, art. 13, p. 66.
[24] M. Bretone, Le cose e la natura, cit., p. 11 s. Le formalisme primitif du mos maiorum comme droit ancestral fait état de la double nature de la res, substantielle et utilitaire à la fois, car il modèle les relations sociales en validant des échanges, exhaussant des visées impérialistes par la déclaration des guerres qui aboutissent, entre autres, à l’acquisition des territoires selon des différentes formes patrimoniales, etc.
[25] Sur ces questions, F. Sini, Sua cuique civitati religio. Religione e diritto pubblico, in Roma antica, Torino, 2001, p. 268 ss.; L. Kofanov, Lex natura nel Digesto e nel pensiero di Cicerone, in E. Hermon, éd., Société et climats dans l’Empire romain. Pour une perspective historique et systémique de la gestion des ressources en eau dans l’Empire romain, Naples, 2009, p. 129 ss.
[26] Cicéron, De divin. I, 105: Cui quidem auguri vehementer adsentior, solus enim multorum annorum memoria non decantandi augurii, sed divinandi tenuit disciplinam; P. Catalano, Contributi allo studio del diritto augurale, Torino, 1960, p. 23 ss.; J. Linderski, The augural law, in ANRW, II.16.3 (1966), p. 2230 ss.; J. Vaahtera, Roman augural lore in Greek historiography. A study of the theory and terminology, Stuttgart, 2001.
[27] O. Behrends, Bodenhoheit und Bodeneigentium im grenzwesen Roms, in Die römishen Feldmesskunst, Göttingen, 1992, p. 213 ss.; G. Chouquer, F. Favory, Les arpenteurs romains. Théorie et pratique, Paris, 1992; D. J. Gargola, Lands, Law and Gods. Magistrats and Ceremony in the Regulation of Public Lands in Republican Rome, Chapel Hill & London, 1995, p. 35 ss.
[28] Cicéron, De divin. I, 79 … sunt partes agrorum aliae pestilentes, aliae salubres .., ce qui influence également le caractère des gens, II, 96-97 : dissimilitudo locorum nonne dissimilis hominum procreationes habet. Ses paramètres de gestion s’établissent en fonction de l’aléa climatique, Cicéron, De natura deorum, II, 152, voir également Quintilien, Institutions oratoires, 1. 51-63.
[29] Vitium loci est pris en considération pour l’usufruit: Paul, D.39.2.10 (Paul, 48 ad ed.); il est inclus dans l’actio de damno infecto qui prévoyait de transférer un bien à celui qui est capable d’assumer ce risque: … denique nemo dixit palustris loci vel harenosi nomine quasi vitiosi committi stipulationem, quia naturale vitium est: et ideo nec ea stipulatio interponitur neque interposita committetur. Ulpien,D.39.2.24.2 (Ulp. 81 ad. ed.). La question de la prise en compte du vitium loci est plus complexe pour l’actio aquae pluviae arcendae et les Prudentes proposent des solutions innovantes selon les circonstances pouvant conduire, soit à l’exercice, soit à l’abandon de l’action, tout en rendant négociable l’obligation de patientiam praestare, E. Hermon, De l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion du risque de précipitations: note sur Cicéron, Topica, 4.24 ; 9.38-39 ; D.39.3.2.5-6 ; D.39.3.11, JUS 5/21 (2022), p. 26.
[30] Ces actions sont régies par le ius naturale et l’adoption des solutions est modulée par la nature et la gravité des causes naturelles souvent extrêmes. Sur l’a.a.p.a. voir F. Sitzia, ʻAqua pluviaʼ e ʻnatura agriʼ: dalle XII tavole al pensiero di Labeone, Cagliari, 1999 ; Les deux actions auraient d’ailleurs retenu le même témoignage de Trébatius, vraisemblablement sur l’inondation de Rome en 54 av. n.è., M. Bretone, Le cose e la natura, cit., nn. 39, 95; Ulpien D.39.2.9.1 (Ulp. 53 ad ed.,) pour l’actio de damno infecto, Paul: D.39.3.11.6 (Paul, 49 ad ed.) pour l’«a.a.p.a ».
[31] Serv. Georg. 1.269 ; ‘fas est iura sinunt’; id est divina humanaque iura peermitunt; nam ad religionem fas, ad homines iura pertinent.
[32] Le climat salubre est une particularité du terrain, D.50.16.86 (Celse, Dig.5) : Quid aliud sunt "iura praediorum" quam praedia qualiter se habentia: ut bonitas, salubritas, amplitudo?
[33] Voir à ce propos, L. Kofanov, Lex naturae, cit., p. 137s.
[34] Cicéron, De leg., I.18 -19 : …lex est ratio summa, insita in natura… Ea est enim naturae vis, ea mens ratioque prudentis, ea iuris atque inuriae regula.
[35] Parmi une vaste bibliographie sur le sujet, nous renvoyons à A. Burdese, Il concetto di ius naturale nel pensiero della giurisprudenza classica, in RISG, 7 (1954), pp. 407-421 ; M. Bretone, Tecniche e ideologie dei giuristi romani, Napoli, 1982, p. 32 ss. ; P. A. Vander Waerdt, Philoposophical influence of Roman Jurisprudence? The case of stoicism on natural Law, in ANRW, II.36.7 (1994), p. 4851 ss. ; Ph. Didier, Les diverses conceptions du droit naturel à l’œuvre dans la jurisprudence romaine des IIe et IIIesiècles, in SDHI, 47 (1981) pp. 195-262; D. Mantovani - A. Schiavone, Testi e problemi di giusnaturalismo, Pavia, 2007; A. Schiavone, Giuristi e nobili nella Roma Repubblicana. Il secolo della rivolutione scientifica nel pensiero giuridico antico, Roma, 1992; A. Schiavone, Ius. L’invention du droit en Occident, trad. fr. G. et J. Bouffartigue, Paris, 2008, p. 24.
[36] La nature des res est spécifiquement mise en rapport avec le ius civile: La natura agri: D.8.3.23; D.50.16.86; Cicéron, De off., 1.102, rationi … sunt subiecti lege naturae; Cicéron, De leg., I.18 -19 cit., supra, n. 34. Pour l’intégration de la natura rerum dans la structure logique du ius civile, E. Hermon, Mucius Scaevola et le ‘ius naturale’. La construction de la résilience dans la gestion du risque d’inondations, in JUS, 7.1 (2021), p. 1 ss.
[37] Isid. Orig.V.4: Quidsitius naturale. Ius autem naturale est, aut civile, aut gentium. Ius naturale est commune omnium nationum, et quod ubique instinctu naturae, non constitutione aliqua habetur; ut viri et feminae coniunctio, liberorum successio et educatio, communis omnium possessio, et omnium una libertas, adquisitio eorum quae caelo, terra marique capiuntur. W.M. Lindsay, Etymologiarum sive Originum Isidori Hispalensis, Oxford, 1911(en ligne);S.A, Barney et al., The Etymologies of Isidore de Seville, Cambridge, 2006,(en ligne), L. Kofanov, Lex naturae, cit., p. 134 ss.
[38] M. Lemosse, Technique juridique et culture romaine selon Isidore de Séville, RHDFE, 79.2 (2001), p. 139 ss. et bibliographie.
[39] Aristote, La métaphysique, trad. J. Tricot, Paris, 2003, 1038a8, 25. t.1. p. 289-ss.
[40] G. Chouquer, Code agraire, Paris, 2022, art. 10, p. 66.
[41] G. Chouquer, Etude juridique et historique du dominium et de la propriété foncière dans le monde romain (Ier s. av. - Ier s. ap. J.-C.), Paris, 2014, http://www.formesdufoncier.org, p. 4 s. (consulté le 19-07-2021).
[42] P. Garsney, Thinking about propriety, cit., p. 115 s.
[43] La conquête de Veii à la fin du IVe siècle av. n.è. transforme l’ager Veientanus en véritable laboratoire agraire qui se distingue par sa condition d’ager vacuus qui réunit les deux options distinctes de Cicéron. Il s’agit en fait d’un ager publicus ouvert à plusieurs formes d’occupation, E. Hermon, Habiter et partager les terres avant les Gracques, Paris-Rome, 2001, p. 132 ss.
[44] C. Moatti, Res publica, cit., p. 317 s.; P. Garsney, Thinking about propriety, cit., p. 114 ss.
[45] E. Hermon, Dominium et occupatio entre prévention et gestion du risque d’inondation, JUS, 1 (2023), p. 40ss., sur la notion romaine de propriété,voir égalementJ. P. Coriat, La notion romaine de propriété: une vue d’ensemble, le sol et l’immeuble, Les formes dissociées de propriété immoliaire dans les villes de France et d’Italie (XIIe-XIXe), Rome, 1995, p. 17 ss.
[46] Supra, nn. 8-9, voir également M. Heiddegger, Qu’est-qu’une chose, trad. J. Reboul - J. Taminiaux, Paris, 1988.
[47] L. Maganzani, Florentinus. Institutionum libri XII, Roma, 2022, p. 9 ss., pour la datation de l’œuvre de ce juriste d’allégeance jusnaturaliste au temps des Sévères.
[48] En fait, le fragment D.1.8.3 (Lenel 5), attribué au livre VI De adquirendo rerum dominio des Institutions de Florentinus reprend textuellement des éléments du passage de Nerva le Jeune dans la version de Paul. Ce fait, me semble-t-il, renforce l’hypothèse de L. Maganzani, Florentinus, cit., p. 15, n. 51 que Florentinus aurait écrit après la publication de l’œuvre de Paul, mais ajoute également un autre élément à prendre en compte pour son jusnaturalisme à part les cas mentionnés à ce propos. Également les passages D.41.1.2 (Lenel 6) et D.41.1.6 (Lenel 7), L. Maganzani, Florentinus, cit., p. 80 reprennent d’autres éléments des textes de Nerva et de Nératius rapportés par Paul.
[49]SelonGaius, les animaux sauvages représentent la vision de l’espace par excellence des res naturales, car ils peuvent être pris sur terre, sur mer ou dans les aires: D.41.1 (Gai. res cott. 2). De adquirendo rerum dominio. 1. Omnia igitur animalia, quae terra mari caelo capiuntur, id est ferae bestiae et volucres pisces, capientium fiunt, et il fait appel à la naturalis ratio pour les assimiler au dominium par la fiction de res nullius : ce qui n’appartient à personne est acquis par la naturalis ratio au premier occupant : Quod enim nullius est, id ratione naturali occupanti conceditur (D.41.1.3 pr.); Sur les droits du premier occupant, Trébatius. D.41.1.5.1; Florentinus, D.41.1.4 (Inst.6), entre autres, discutent de différentes situations impliquant les bêtes sauvages.
[50] Papinianus, D.41.3. 45, cit. infra, n. 56.
[51] M. Fiorentini, Fructus e delectatio nell’uso del mare e nell’occupazione delle coste nnell’età imperiale romana, in E. Hermon, Riparia dans l’Empire romain, Pour la définition du concept, Oxford, 2010, p. 273 ss.
[52] D.41.1.14 membranarum pr. Quod in litore quis aedificaverit, eius erit: nam litora publica non ita sunt, ut ea, quae in patrimonio sunt populi, sed ut ea, quae primum a natura prodita sunt et in nullius adhuc dominium pervenerunt: nec dissimilis condicio eorum est atque piscium et ferarum, quae simul atque adprehensae sunt, sine dubio eius, in cuius potestatem pervenerunt, dominii fiunt.
[53] Il ne s’agit pas des res in publico usu du droit public dont l’occupation est toujours illicite, M. Fiorentini, Fructus e delectatio nell’uso del mare e nell’occupazione delle coste, cit.,p. 274. Differement F. Sini, Persone e cose: res communes omnium. Prospettive sistematiche tra diritto romano e traditione romanistica, Diritto@Storia, 7 (2008), p. 3.
[54] C’est le cas des rives des fleuves: D.41.1.14.15, Nératius, 5 Regularum: Qui autem in ripa fluminis aedificat, non suum facit.
[55] D.41.1.14. 1: Illud videndum est, sublato aedificio, quod in litore positum erat, cuius condicionis is locus sit, hoc est utrum maneat eius cuius fuit aedificium, an rursus in pristinam causam reccidit perindeque publicus sit, ac si numquam in eo aedificatum fuisset. Quod propius est, ut existimari debeat, si modo recipit pristinam litoris speciem.
[56] X. Lafon, Villa maritima. Recherches sur les villas littorales de l 'Italie romaine (IIIe siècle av. J.-C. / IIIe siècle ap. J.-C), Rome, 2001, p. 250 ss.
[57] D.41.3.45: Papinianus libro decimo responsorum: pr. Praescriptio longae possessionis ad optinenda loca iuris gentium publica concedi non solet. Quod ita procedit, si quis, aedificio funditus diruto quod in litore posuerat (forte quod aut deposuerat aut dereliquerat aedificium), alterius postea eodem loco extructo, occupantis datam exceptionem opponat, vel si quis, quod in fluminis publici deverticulo solus pluribus annis piscatus sit, alterum eodem iure prohibeat.
[58] À cet effet, l’exemple rapporté par Cicéron, De off. III, 58 s. de l’achat d’une villa maritime avec l’intention de s’approprier son fond marin, intention déjouée par les pêcheurs occasionnels qui exploitent les migrations saisonnières des poissons, est significatif à cet égard, X. Lafon, Villa maritima, cit., p. 161.
[59] cit., supra, p. 24.
[60] Supra, n. 49.
Hermon Ella
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