fbevnts From the adaptive to the resilient approach to the management risk of the rain water: note on Cicero, Topica, 4.24; 9.38-39; D. 39.3.2, 5-6; D. 39.3.1

De l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion de l’actio aquae pluviae arcendae: note sur Cicéron, Topica, 4.24; 9.38-9; D. 39.3.2, 5-6

22.10.2021

Ella Hermon

MSRC, professeure émérite,

Université Laval, Canada

 

De l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion de l’actio aquae pluviae arcendae: note sur Cicéron, Topica, 4.24; 9.38-9; D. 39.3.2, 5-6; D. 39.3.11*

 

English title: From the adaptive to the resilient approach to the management risk of the rain water: note on Cicero, Topica, 4.24; 9.38-39; D. 39.3.2, 5-6; D. 39.3.11

DOI: 10.26350/18277942_000046 

 

À la mémoire de Franco Salerno, savant et ami,

qui m’a transmis l’intérêt «naturaliste» de l’actio aquae pluviae arcendae

 

Sommaire: 1. Introduction: L’art de l’argumentation dans la gestion du risque de précipitations. 2. Les enjeux d’une définition naturaliste et la définition de l’aléa climatique et son action. 2.1. Des éléments d’une définition en termes de gestion intégrée par l’a.a.p.a. 2.2. La structure analytique de l’a.a.p.a. pour l’identification des facteurs de vulnérabilité.3. Aqua pluvia nocens au cœur de la redéfinition des concepts pour l’a.a.p.a. 3.1. La vis aquae et la question de l’utilitas: D. 39.3.2. 5.3.2. Vitium loci et le partage des responsabilités: D. 39.3.2.6.3.3. Vis fluminis, natura et vitium loci:D. 39.3.11.6. 4. Controverse pour gérer la vulnérabilité au risque de précipitations. 4.1. L’apport de la génération de Cicéron pour une démarche résiliente de gestion de l’a.a.p.a. 4.2. Le droit et la gestion de l’a.a.p.a. entre la République et les Sévères. 5. Conclusion: De l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion du risque de précipitations entre la République et les Sévères.

 

 

  1. Introduction: L’art de l’argumentation dans la gestion du risque de précipitations

 

Le court traité rhétorique et didactique[1] que Cicéron écrit en 44 av. notre ère dans l’espace d’une semaine sur le vaisseau qu’il le ramena en Grèce pour échapper à Marc Antoine, exposa à l’intention de son ami Trébatius Testa, l’un des juristes les plus fameux de son temps, les principes de l’art de l’argumentation, en résumant les Topiques d’Aristote, mais en les illustrant avec des exemples issus de l’expérience des jurisconsultes républicains, aristocrates au pouvoir, ouverts à la doctrine grecque du stoïcisme moyen qui donne une place fondamentale à la nature et aux droits naturels. Dans ce giron, Cicéron avait conçu un fondement politique à la loi naturelle et avait proposé une éthique active. Cette vision des choses se reflète notamment dans les traités politiques de Cicéron, écrits quelques années avant sa mort et faisant office d’un arrière-plan des Topiques[2]. À part l’intérêt pour les éléments méthodologiques de la philosophie, de la rhétorique et du droit[3], ce traité revêt une importance particulière pour être un témoignage spontané de la volonté de Cicéron, versé dans la méthode d’Aristote, de partager son savoir et son expérience d’orateur et avocat avec son ami, Trébatius, en exposant l’art de trouver des arguments ou des lieux communs sur des questions d’actualité. À l’aide uniquement de sa prodigieuse mémoire, Cicéron livre une synthèse de la technique oratoire des définitions, dont la double nature, factuelle et représentative, permet de décomposer des thèmes majeurs du droit civil dans la recherche de leur signification et leur articulation dans ce cadre[4]. De ce fait, Cicéron fait dans les Topiques l’œuvre d’antiquaire et d’historien pour avoir reproduit quelques exempla provenant des premières générations de jurisconsultes, dont les livres ne se sont pas conservés.

Ce sont notamment ces cas qui méritent un examen particulier, car Cicéron rapporte, sinon les propos mêmes des premiers jurisconsultes républicains, du moins leur esprit comme reflet des préoccupations des milieux intellectuels de son temps pour construire sous l’influence hellénistique une structure analytique du ius civile, à l’époque où se manifestent des variations climatiques, caractérisées, entre autres, par des inondations, dont l’une des raisons sont les pluies tumultueuses.

D’ailleurs, on reconnait les multiples effets des inondations en Italie, ainsi que sur le pourtour de la Méditerranée, entre la République et l’Empire. La pluviosité est traditionnellement mesurée en fonction de l’alternance entre des périodes froides et humides, d’une part, et, de l’autre chaudes et sèches, dans un cycle climatique considéré traditionnellement comme un optimum climatique romain. On reconnaît maintenant que des fluctuations climatiques importantes rompent le rythme régulier de ce cycle avec des variantes régionales des intervalles de pluviosité et d’inondations comme celles connues sur le pourtour méditerranéen, globalement entre le IIe s. av.-IIe s. ap. notre ère[5]. En effet, la pluviosité est intégrée actuellement dans les reconstitutions paléoenvironnementales pour distinguer les variations régionales des périodes froides ou chaudes[6]. Qui plus est, les indications météorologiques des sources anciennes sont considérées maintenant comme des proxydata. Ce sont des représentations sociales de l’évolution du climat, alors que le degré de pluviosité pourrait être induit à partir de l’alimentation des cours d’eau et de l’essor de la culture de la vigne ou bien de la mention des orages et des pluies estivales[7]. En plus des topoi littéraires, on constate l’instabilité hydrologique qui provoque des inondations fréquentes du Tibre et du Rhône entre le Ier et le Ve siècles[8].

Les retombées d’une époque d’instabilité climatique ponctuée de pluviosité et d’inondations pourraient avoir un impact sur l’esprit observateur du milieu intellectuel de cette époque préoccupé de structurer l’ossature du droit civil en privilégiant la loi naturelle et l’éthique de gestion, dont les Topiques de Cicéron révèle quelques traces. Entre autres, l’adaptationà cette nouvelle structurede l’ancienne action, actio aquae pluviae arcendae (désormais a.a.p.a.) a fait l’objet des commentaires de Cicéron lui-même, dont la teneur dégage les orientations confirmées des jurisconsultes de sa génération.

 L’a.a.p.a., est examinée habituellement en termes de la tutelle du risque aux dommages. Nous envisageons cette propension aux dommages en termes de vulnérabilité environnementale et sociétale à la fois avec une double perspective préventive et prospective, en mettant l’accent sur la nature diverse des espaces exposés au risque de précipitations: environnementale, des limites de propriétés, de productivité, de relations de voisinage. Cette démarche nous a été suggérée par le noyau primitif de l’action par la formule d’aqua pluvia nocens, conservée par la tradition des XII Tables[9]. Cet énoncé comporte deux composantes: celle de la naturalis res qui se modifie selon l’angle de l’analyse et les époques et celle de l’objectif de l’action, la tutelle des dommages. Cette double structure est en même temps une expression des interactions société-environnement naturel qui définit la vulnérabilité environnementale, aussi bien que sociétale face au risque de précipitations et les incidences de leur interaction conduisent à développer des capacités d’absorption des crises. Cette conjoncture nous incite à identifier, à partir de la confrontation des Topiques de Cicéron avec quelques cas d’espèce représentatifs du Digeste, aussi bien l’effort de définition des deux composantes de cette action, que leur application comme des jalons de la gestion du risque de précipitations à Rome, compatibles avec le modèle romain de gestion résiliente du risque d’inondations[10].

 

1.1.          Controverses sur la gestion de la vulnérabilité au risque de précipitations et la construction de la résilience

 

En premier lieu, nous tenterons de mesurer dans quelle mesure le traité didactique de l’art de l’argumentation de Cicéron reflète des modalités réelles d’adaptation del’a.a.p.a. comme un instrument légal pour gérer le risque de précipitations, en traçant l’enchaînement logique des enjeux d’une définition naturaliste (§2) et en reconnaissant des éléments de gestion intégrée qui s’y profilent (§2.1). De la sorte, nous nous interrogerons sur les nouveaux paramètres identifiés par Cicéron pour l’a.a.p.a., comme indices sur les facteurs de la vulnérabilité au risque de précipitations (§2.2) et sur leur usage par les jurisconsultes de sa génération, afin de servir ensuite de point d’encrage pour le débat entre leurs successeurs (§ 3), en commençant avec Alfenus Varus (§3.1), Namusa (§ 3.2) et Trébatius (§3.3). En situant cette controverse sur les mêmes paramètres entre les générations des juristes de la République (§4.1) aux Sévères (§4.2), nous tenterons d’esquisser à partir de l’examen des trois passages représentatifs − D. 39.3.2, 5-6; D. 39.3.11, quelques formes du passage de l’approche adaptative à la démarche résiliente en matière de gestion du risque de précipitations relatives à l’a.a.p.a. (§5).

Cet essai n’a pas l’intention de s’attarder à l’exégèse des cas d’espèce amplement discutés et qui suscitent toujours l’intérêt des recherches juridiques[11], mais de confronter la portée théorique de la matrice rhétorique de Cicéron dans les Topiques sur un processus de reconversion des vieux concepts et mores, qui régissaient initialement l’a.a.p.a., aux nouvelles réalités et aux avancées de la procédure formulaire. Nous tenterons enfin de cerner l’évolution dans la perception du risque de précipitations qui dégage des modalités de sa gestion résiliente.

 

2. Les enjeux d’une définition naturaliste: l’aléa climatique et son action

 

Les Topiques, modèle de l’apprentissage de l’art de l’argumentation juridique pour la structuration analytiqueen genus et species à la base de la science juridique romaine[12] choisissent comme un bon exemple de la double nature − factuelle et représentative des définitions, (genera quae sunt et quae intelliguntur, Topica, 5, 26-7) −, les naturales res qui étaient disputées à cette époque et qui feront l’objet des débats des générations de juristes. Comment ces définitions servent-elles de noyau dur pour décomposer des réalités et des notions complexes et les structurer ensuite en différentes normes et coutumes qui répondent à l’évolution des concepts en vigueur à cette fin de la République tourmentée par des crises politiques et des variations climatiques?

Ces circonstances justifient l’intérêt des juristes républicains cités dans ce traité, d’Aquilius Gallus pour la définition naturaliste du litus[13] et des Mucii Scaevolae en rapport avec la définition d’aqua pluvia[14] pour traduire les préoccupations de leur temps dans des définitions naturalistes au besoin des normes juridiques. D’ailleurs, cette démarche naturaliste dans la définition des milieux ripariens, que ce soit les rivages (litus) ou les rives (ripa) des cours d’eau, domina ensuite la casuistique des juristes plus tardifs, afin d’y greffer les autres éléments du droit civil, selon les circonstances: la propriété, l’exploitation économique, le transport, le commerce etc. Du coup, la formulation de la définition naturaliste constitue une voie d’intégration du ius naturale dans le champ sémantique du ius civile. En définissant ce que c’est l’objet au cœur de l’argumentation, on tisse les liens entre ses divers éléments naturels et humains par les liens intrinsèques et extrinsèques de l’objet en litige, les premiers dérivant soit de l’ensemble, soit des parties ou de l’étymologie du mot, les dernières matières étant complètement distinctes du sujet[15].

Cette structure analytique des définitions aurait conduit à inclure aussi des circonstances factuelles comme les inondations[16] ou des modifications des espèces comme la natura loci en tant que conséquences des précipitations, sans les limiter au genre exprimé par l’aqua pluvia «qui vient du ciel et s’accroit par les orages», selon la définition de Q. Mucius Scaevola[17]. En fait, cette définition rend compte du climat méditerranéen avec des pluies habituellement orageuses et souvent avec des effets désastreux. Elle reste un consensus durant la République, car elle est utilisée dans les mêmes termes par un autre juriste républicain, Aelius Tubéron, cos. 11 avant notre ère, qui insistait, dans le même esprit des XII Tables, sur l’effet nocif d’aqua pluvia: quae de caelo cadit atque imbre excrescit, sive per se haec aqua caelestis noceat. En s’y référant, Ulpien lui-même a laissé entrevoir d’autres formes de conséquences nocives: sive cum alia mixta sit[18], en élargissant ainsi le champ sémantique de la notion:

 

Si cui aqua pluvia damnum dabit, actione aquae pluviae arcendae avertetur aqua. Aquam pluviam dicimus, quae de caelo cadit atque imbre excrescit, sive per se haec aqua caelestis noceat, ut Tubero ait, sive cum alia mixta sit.

 

De plus, le locus a coniugatione, l’argument de l’affinité des mots de la même famille de l’aqua pluvia, «l’eau tombée du ciel», permet à Cicéron de la rendre compatible à toute espèce d’eau (fleuve, mer) qui s’accroît quand il pleut, en renvoyant à Q. Mucius Scaevola qui aurait défini aqua pluvia comme omnis aqua quae pluendo crevisset :

 

ut, si aquam pluviam eam modo intellegeremus quam imbri collectam videremus, veniret Mucius, qui, quia coniugata verba essent pluvia et pluendo, diceret omnem aquam oportere arceri quae pluendo crevisset, Topica, 9. 38[19].

 

 Cette définition topico-interprétative, elle-même avec une référence implicite au XII Tables (7. 8a) élargit la sphère d’action de l’aqua pluvia par rapport à la définition de Tubéron considérée plus haut.

Cicéron englobe ainsi dans cette digression sur les différentes définitions républicaines d’aqua pluvia la nature des précipitations, leurs formes, les conditions de leur effet nocif et leurs conséquences sur le système hydrique. En somme des formes de gestion intégrée concourent pour justifier la gestion du risque de précipitations par l’a.a.p.a. défini depuis les XII Tables comme l’aqua pluvia nocens, en mettant l’accent sur l’effet destructif de cet aléa climatique comme présuppos de l’action. En fait, cette locution aurait pu tirer sa substance de l’esprit même de l’action décemvirale et elle est reprise d’ailleurs par la définition d’aqua pluvia acceptée aussi par Ulpien, mais le changement aurait été opéré dans l’identification de la nature des espèces,alors que l’élargissement de son champ sémantique renforce la perception catastrophique des précipitations abondantes[20].

 

2.1. La structure analytique d’une définition en termes de gestion intégrée de l’a.a.p.a.

 

Le lien extrinsèque entre la contribution de Publius Mucius Scaevola et la définition d’aqua pluvia fait aussi la transition avecl’a.a.p.a. Il justifie ainsi la prise en compte de l’apport du père de Quintus à l’effort analytique de ses contemporains pour permettre de cerner les divers aspects de gestion intégrée du risque de précipitations relatives à l’a.a.p.a.

En effet, la question de l’eau de pluie en milieu urbain est mise en rapport par Publius[21] avec la notion de l’ambitus aedium qui indiquait la distance de 2½ pieds entre les édifices, norme connue depuis les XII Tables[22], mais qui aurait subi durant la République des restrictions en milieu urbain. Effectivement, deux vieilles actions en rapport avec des limites de propriétés – l’actio aquae pluviae arcendae et l’actio finium regundorum − subissent les mêmes restrictions relatives à l’ambitus en territoire urbain durant la République, bien que la portée des deux actions soit diverse[23]. Cependant,alors que la question de l’ambitus est gérée par l’actio finium regundorum et que cette action exclut le territoire urbain de sa sphère de compétence[24], l’a.a.p.a. subit le même sort, selon le consensus des sources, dont les Topiques de Cicéron, qui établissent clairement la coïncidence entre les deux actions. En effet, Topica, 4.23, ut si in urbe fines non reguntur, nec aqua in urbe arceatur, suggère qu’au moins à l’époque de Cicéron l’abandon de l’ambitus en ville était un fait accompli[25]. Si cette norme de l’ambitus a pu devenir désuète à Rome avec l’évolution urbaine et le développement économique, les précipitations de plus en plus abondantes conduisent, au contraire, à la nécessité de la ressusciter. Encore au Ier siècle, l’architecte Vitruve faisait état de l’exigence de prendre en compte l’ambitus lors de la construction des édifices[26].

C’est dans ce contexte que la définition de Publius sur l’ambitus aedium comme le pourtour de la maison urbaine gagne en intérêt, car elle fixait la partie qui prolonge le toit jusqu’au mur commun avec le voisin, comme la limite qui devait contenir l’écoulement de l’eau de pluie (aqua defluere) sur le terrain de celui qui prolonge le toit:

 

Quae autem assumuntur extrinsecus, ea maxime ex auctoritate ducuntur: Quoniam P. Scaevola id solum esse ambitus aedium dixerit, quantum parietis communis tegendi causa tectum proiceretur, ex quo tecto in eius aedis qui protexisset, aqua deflueret, id ambitus videri, Topica, 4. 24.

 

Cet énoncé établit le lien commun extrinsèque avec l’action même du détournement de l’eau de pluie (a.a.p.a.) relative aux servitudes naturelles du monde rural et sa validité dérive de l’autorité de celui qui l’a émis. Bien que le passage ait été considéré comme une interpolation et que sa formulation ait pu être jugée incohérente[27], l’avis de Publius nous semble tirer sa logique du contexte même dans lequel il est intégré: jug par Cicéron comme un lien extrinsèque de la définition d’aqua pluvia, le responsum de Publius est situé en milieu urbain, même s’il tire sa substance de l’analogie avec la définition de l’a.a.p.a. Qui plus est, l’incohérence de son contenu par rapport à l’écoulement de l’eau dans le cas des servitudes naturelles, se justifie, à mon sens, par la volonté d’adapter l’institution archaïque de l’ambitus des XII Tables (7.1), en s’inspirant des présupposés de l’a.a.p.a., comme moyen de contenir l’eau de pluie à l’intérieur des limites des propriéts urbaines vraisemblablement pour éviter l’inondation du terrain du voisin[28]. Ensemble avec Topica, 4. 23, ce passage suggère un intérêt accru dès l’époque de Publius pour la gestion urbaine de l’eau de pluie qui peut découler des précipitations abondantes, sans qu’elles soient toujours catastrophiques par les inondations du Tibre.

Dans les faits, Publius, préteur en 141 avant notre ère, n’aurait eu, tout au plus, qu’un souvenir lointain des inondations catastrophiques du Tibre qui ont déferlé Rome dans son enfance[29]. Néanmoins, la définition et la nature de l’aqua pluvia est en rapport avec la complexité des dommages des précipitations abondantes accompagnées souvent des inondations qui auraient frappé la Cité, aussi bien que les campagnes et qui apparaissent plutôt comme une préoccupation constante des juristes du dernier siècle républicain, de Publius Scaevola à Trébatius[30]. La multiplication des litiges causés par l’abondance des précipitations et d’inondations est un phénomène qui aurait caractérisé le dernier siècle républicain. Cette réalité aurait pu justifier également l’intérêt de la première génération des concepteurs d’une nouvelle structure analytique du ius civile, dont faisait partie Publius Mucius Scaevola, de puiser dans la tradition archaïque des XII Tables pour l’adapter aux besoins nouveaux.Assurément,l’avis de Publius porte les traces de son originalité d’avoir établi un rapport entre les concepts et l’exposition de cas[31] par la mention de l’eau de pluie qui apparaît comme un élément de contextualisation par rapport à la notion de l’ambitus. De ce fait, cet exemple témoigne d’une contribution plus importante qu’on accorde d’habitude à Publius dans la naissance de la structure analytique du ius civile puisque son avisa perduré ex auctoritate.

D’autre part, Pomponius[32], qui attribue au fils du Publius, le célèbre Quintus, la naissance du ius civile comme science distincte sous l’influence de la philosophie hellénistique, est suivi par la plupart des savants qui se sont penchs sur la question[33]. Néanmoins, la figure idéalisée de Quintus comme fondateur de la science juridique est contestée dernièrement[34], en privilégiant davantage la contribution personnelle de chaque juriste pour l’émergence et la consolidation de cette structure analytique du droit civil comme science, dont il faut prendre en compte celui du père, Publius qui est mentionné par Cicéron dans les Topiques[35].

Conserv comme une maxime hors-contexte, l’avis de P. Mucius Scaevola ne permet pas d’en déduire son application. Mais en faisant référence à l’eau de pluie, il peut néanmoins suggérer l’idée de l’utilisation des fictions en adaptant les principes qui régissent l’a.a.p.a, tout en modifiant des conditions matérielles de la servitude naturelle[36] prévues initialement, mais en conservant les mêmes présupposés − naturaliter fluere et l’opus manu factum. Quoi qu’il en soit, dans la foulée de l’argumentation rhétorique de Cicéron, la pensée de P. Mucius Scaevola reflète l’insuffisance des moyens juridiques pour couvrir les cas qui ne sont pas compatibles avec l’a.a.p.a. En tout cas, la situation analogique évoquée par l’état établi par P. Scaevola met en évidence la natura loci comme élément indépendant qui peut générer potentiellement une situation similaire à celle exigée par l’a.a.p.a. en mettant en évidence les limites de propriétés.

D’autre part, l’intérêt marqué de Cicéron de se servir de la définition de l’aqua pluvia et de proposer une nouvelle structure analytique de l’a.a.p.a., en distinguant des formes de gestion intégrée du risque de précipitations, est partagé par ses contemporains. Témoins d’une série d’inondations catastrophiques du Tibre[37], les milieux intellectuels de cette époque réfléchissaient comment définir la nature et les composantes de la notion de l’aqua pluvia qui les conduisaient inévitablement à constater l’insuffisance du seul instrument juridique à leur disposition: l’antique action de l’a.a.p.a. sur la servitude naturelle établie entre les deux propriétés agricoles superposées. Il est aussi probable que la raison soit conjecturelle: une inondation du Tibre l’année même de la composition des Topiques, suivie par trois autres inondations majeures à des intervalles relativement courts et qui auraient frappées aussi bien la Cité que les campagnes[38].

En somme, la définition d’aqua pluvia dans les sources juridiques corroborée par l’argumentation rhétorique de Cicéron élargit progressivement son champ sémantique pour permettre plus de flexibilité dans l’évaluation de ses effets sur les espaces exposés qui ont subi les conséquences, que ce soit des cours ou des plans d’eau, selon la paraphrase de Cicéron, ou selon la natura loci, selon Ulpien. Elle est associée depuis les XII Tables à la notion de nuire (nocens) aux propriétés limitrophes dans le cadre de l’a.a.p.a., en désignant ainsi l’action comme la tutelle de la vulnérabilité territoriale et sociétale à l’effet destructif des précipitations. C’est pour définir la vulnérabilité au risque de précipitations se référant aux dommages causés par l’eau de pluie que Cicéron situe le genre (aqua pluvia nocens) au cœur de l’argumentation. En fait, l’épisode de l’ambitus dans la Cité relaté par Q. Mucius Scaevola permet à Cicéron de faire la transition de la définition d’aqua pluvia à l’examen analytique de l’a.a.p.a.

 

2.2. La structure analytique de l’a.a.p.a. pour l’identification des facteurs de vulnérabilité au risque de précipitations

 

En rétrécissant le sens général de l’aqua pluvia et pour amplifier l’effet destructif du terme nocens, associé par les XII Tables à la définition de l’action a.a.p.a., Cicéron identifie la locution d’aqua pluvia nocens comme le genus de l’action, en investissant ses espèces de cet aspect destructif. C’est ainsi que la question des dommages causés par l’eau de pluie est désignée pour opérer des changements dans l’identification et la nature des espèces. Alors que l’action primitive identifie le risque par le détournement de l’eau de pluie (naturaliter fluere) et son présupposé par l’existence d’un opus manu factum, son aspect nocif, parfois catastrophique, doit tenir compte, selon Cicéron, d’un nouveau présupposé, le vitium loci qui change la natura loci.

Ce faisant, Cicéron met en cause deux espèces de risque dans la logique du genre d’aqua pluvia nocens: d’une part, ceux qui résultent du vice des lieux (vitium loci) (inadmissibles pour l’action) et ceux qui dépendent des travaux même de l’homme qui modifient l’environnement naturel (manu nocens) sans spécifier l’opus manu factum, mais qui sont compatibles avec l’exercice de l’a.a.p.a.:

 

Cum autem a genere ducetur argumentum, non erit necesse id usque a capite arcessere. Saepe etiam citra licet, dum modo supra sit quod sumitur, quam id ad quod sumitur; ut aqua pluvia ultimo genere ea est quae de caelo veniens crescit imbri, sed propiore, in quo quasi ius arcendi continetur, genus est aqua pluvia nocens: eius generis formae loci vitio et manu nocens, quarum altera iubetur ab arbitro coerceri altera non iubetur, Topica, 9.39.

 

Ce passage est un exemple de la division d’un genus en species et le choix du genus est délibéré, car,en l’identifiant comme aqua pluvia nocens, il divise les species à partir de leur caractère nocif spécifique. Cette formulation en termes de définition − une sorte de paraphrase de la tradition des XII Tables pour l’a.a.p.a. – a toutes les chances d’être de la main de Cicéron lui-même. De surcroît, elle apparaît comme une actualisation de ses effets, car elle traduit l’esprit de ses propres collègues qui se dégage d’ailleurs des passages du Digeste discutés plus loin. Cicéron définit ici un quasi ius arcendi[39]en situation de l’aqua pluvia nocens à savoir l’exigence d’empêcher que ce soit endommagée la propriété d’autrui par l’exercice de l’a.a.p.a., mais avec une nouvelle perception du risque des dommages sous l’effet destructeur de l’aqua pluvia. En conséquence, la connotation catastrophique de l’effet destructeur des précipitations conduit ainsi à plus de flexibilité dans la définition du présupposé de l’action: l’opus manu factum. Si l’antique action se fondait sur le concours de l’aqua pluvia et l’existence d’un opus manu factum, dont la destruction pouvait empêcher l’écoulement normal de l’eau entre les propriétés agricoles de l’amont et de l’aval, désormais l’accent est mis sur la force destructrice de l’eau − aqua pluvia nocens − qui change la perspective en amplifiant les effets qui conduisent à l’évocation générique d’une intervention humaine de nature quelconque (manu factus) à la place de l’opus manu factum[40]. La topographie de la natura loci conditionnant la servitude naturelle se convertit dans le vitium loci comme présupposé avec des conséquences plus complexes que celles causées par des précipitations.

Dans quelle mesure le schéma analytique de Cicéron, bâti sur le genus d’aqua pluvia nocens et décomposé en espèces relatifs au vitium loci et à la manu nocens, réflète-il les perceptions de ses contemporains sur l’a.a.p.a.? Quel fut son impact sur ses successeurs dans l’adaptation des cas d’espèces non prévus initialement par l’antique a.a.p.a.? Tout en se rapportant à l’effet nocif de l’aqua pluvia exacerbé par ce schéma analytique du quasi ius arcendi, on envisagera à partir de trois passages significatifs comment les jurisconsultes, contemporains de Cicéron, opèrent le passage des antiques mores aux concepts nouveaux qui gèrent la procédure formulaire pour définir les coordonnées du risque de précipitations. On envisagera ensuite l’impact de leurs positions sur les générations futures des jurisconsultes jusqu’aux Sévères dans le dialogue qui s’instaure dans les mêmes passages.

 

3. Aqua pluvia nocens au cœur de l’évolution de la procédure formulaire pour l’a.a.p.a.

 

Il nous semble intéressant de regrouper ici trois passages du Digeste qui rassemblent les grandes lignes de la controverse intergénérationnelle des jurisconsultes à propos de l’utilisation de l’a.a.p.a. comme un instrument légal pour gérer le risque de précipitations. Leur analyse dans la perspective évolutive de l’utilisation des concepts dans l’exercice de l’a.a.p.a. sera confrontée avec le schéma analytique de Cicéron. Si la définition même du genre de l’action − aqua pluvia nocens − définit l’aléa de précipitations et son action, il s’agit d’identifier dans ces passages la manipulation des présupposés et la formulation de nouvelles espèces à la lumière des concepts en jeu.

Deux passages du Digeste (D. 39.3.2.5-6) sont révélateurs de la tendance d’adapter l’a.a.p.a. aux deux sources de dommages identifiées par Cicéron − vitium loci et manu factus − au détriment de l’existencede l’opus manu factum et de la natura loci imposée par la servitude naturelle en condition du naturaliter fluere[41]. Dans les deux cas, nous sommes en présence des trois strates d’information apparemment bien tranchées, mais dont les transitions sont difficilement saisissables et qui font toujours l’objet des interprétations juridiques. Il convient ici de saisir leur esprit, à savoir le dialogue virtuel sur un état de fait qui s’instaure entre les jurisconsultes républicains − Alfenus Varus et Namusa − et Labéon au début du Principat, suivi des commentaires du juriste Sévérien, Paul. Un troisième passage (D. 39.3.11.6),attribué par Paulà Trébatius, l’interlocuteur de Cicéron dans les Topiques, ne suit pas le même schéma argumentatif avec les trois strates évolutives, car il n’est accompagné d’aucun commentaire de Paul auquel le passage est tout de même attribué. De plus, il définit textuellement l’obligation dela patientiam praestare, qui consiste à supporter l’activité du voisin sur son propreterrain[42], alors que les deux cas d’espèce précédents ne font que la décrire aux situations spécifiques. Ce dernier passage est aussi intéressant pour avoir exprimé le rapport cause-effet entre précipitations atmosphériques et les inondations en identifiant la vis fluminis à l’origine d’une a.a.p.a.

 L’analyse textuelle de ces passages du Digeste, confrontée à la structure analytique des Topiques de Cicéron pour l’a.a.p.a., n’a pas d’autre prétention que de saisir l’agencement des concepts qui justifient l’examen des présupposés de cette action ancestrale et de leur évolution entre la génération de Cicéron et les juristes sévériens.

 

3.1. La Vis aquae et l’utilitas[43]:D. 39. 3. 3. 5.

 

Ainsi le Cisalpin P. Alfenus P. Varus, cos. suff. 39 avant notre ère et juriste de l’école de Servius Rufus[44], dont Cicéron partageait les idées, n’accordait pas l’a.a.p.a. lorsque la force de l’eau a rompu une digue qui était sur le fonds du voisin, vraisemblablement sur le fonds supérieur[45], si elle était un ouvrage de la nature (naturalis agger) ou le fait d’une intervention humaine manu factus depuis un temps immémorial (si manu factus neque memoria eius exstat), dont le statut est assuré par la vetustas. L’action estintentée seulement dans le cas où l’opus manu factum est connu, vraisemblablement par une lex agri ou une lex colonica, selon l’interprétation généralement acceptée de cette formulation:quod si exstet, putat aquae pluviae arcendae actione eum teneri.

Le naturalis agger est ainsi considéré comme un élément de la natura loci, dont le changement n’est pas intervenu à cause de l’action humaine[46], auquel s’ajoute le manu factus en fonction de l’ancienne coutume de la vetustas. Le cas confirme le principe du ius naturale et les mores qui ont fait l’objet des normes de la société antique et qui sont probablement contestés, car ils sont choisis par Varus pour expliquer les enjeux de l’action et l’interdiction de les appliquer dans ces deux cas. Mais en incluant un manu factus connu par la vetustas comme critère pour l’interdiction de l’action, Varus adopte une application plus ferme des mores anciens par rapport à la position théorique de Cicéron.

Dans les circonstances, le propriétaire du fonds supérieur ne peut pas être forcé par l’action de rétablir la digue ou à souffrir qu'elle soit rétablie: ut eum reponat vel reponi sinat, car ces deux éventualités ne sont pas compatibles, suivant l’avis de Varus, avec les deux volets de l’action. Sans que le texte définisse cette clause arbitraire de patientiam praestare, à savoir l’obligation d’accepter que la digue soit rétablie par le voisin, elle apparait comme une alternative à la première qui exige que la digue soit rétablie par le propriétaire lui-même, restitutio suis sumptibus, lorsque l’action peut être intentée. En tout cas, il nous semble que l’utilité de la digue ne soit pas mise en cause, mais plutôt sa nature ou son origine qui auraient fait l’objet des préoccupations des milieux juridiques de cette époque en rapport avec l’obligation de patientam praestare, comme les propos de M. Antistius Labéon[47] semblent le confirmer au-delà d’une position plus englobante par rapport à l’origine d’un opus manu factum.

Dans les faits, Labéon ne conteste pas l’avis de Varus à propos de l’agger naturalis en fonction du même principe naturaliste qui a guidé les jurisconsultes républicains. Mais en validant l’action sans exception pour l’opus manu factum, exstat ou non exstat, le juriste augustéen justifie son exigence de respecter la norme en fonction du principe vicini non nocet, tout en évoquant l’attrait d’un nouveau concept, celui de l’utilitas, car il convient «qu’on ne peut intenter cette action pour forcer le voisin à faire quelque chose qui nous soit utile, mais seulement pour l’empêcher de nous nuire et lui permettre de faire ce dont il a le droit»: nam hac actione neminem cogi posse, ut vicino prosit, sed ne noceat aut interpellet facientem, quod iure facere possit[48]. Le ton polémique de cet énoncé ressort en premier lieu de son emplacement dans le passage en rapport avec les cas pour lesquels l’action est refusée. Il témoigne en tout cas que les intérêts en jeu visés par l’action étaient discutés, alors qu’on opposait la réciprocité des intérêts postulés par l’action et justifiés par l’obligation arbitraire de patientiam praestare à l’utilité pour l’un des propriétaires[49]. Sans adhérer dans ce cas au concept de l’utilitas, Labéon le place néanmoins au croisement avec des principes traditionnels de l’action: la coutume de la vetustas qui sera abandonnée et celle de vicini non nocet qui reste le principe de base permettant au propriétaire qui a subi les dommages d’intervenir sur le terrain du voisin. De cette analyse, il se dégage tout même l’impression que l’obligation patientiam praestaere est conçue comme un objet de négociation entre les deux concepts en jeu à cette époque[50].

La transition entre les mores et l’utilitas − n’est pas abrupte et elle transparaît dans l’enchaînement de l’argumentation de Labéon. À son avis, il ne faut pas tenir compte de la vetustas pour, refuser l’a.a.p.a. qui peut êtreintentée pour obliger le voisin de rétablir la digue ou de laisser faire ce que le droit permet de faire en l’empêchant ainsi de nuire, sans prétendre à l’utilité de la chose. De surcroît, Labéon, tout comme Alfenus, décrit l’obligation de patientiam praestare sans la désigner explicitement par ces termes. Néanmoins, l’utilité de la chose ne semble pas être exclue par le principe de la non nuisance qui justifie l’action, mais son manque apparaît comme une lacune. En réalité et dans la perspective des trois cas exposés par Varus agger naturalis, opus memoria non exstat et opus memoria exstat, seul le premier restait comme une lacune non comblée par l’exercice de l’action et son principe de base vicini non nocet.

Pour combler cette lacune de l’a.a.p.a. dans des cas extrêmes du changement de la natura loci, Paul fait recours au droit honoraire en évoquant une action utile ou un interdit prétorien (attamen opinor utilem actionem vel interdictum mihi competere adversus vicinum) comme solution équitable: haec aequitas suggerit tout en respectant la coutume de la non-nuisance: si velim aggerem restituere in agro eius, qui factus mihi quidem prodesse potest, ipsi vero nihil nociturus est. L’authenticité de ce dernier énoncé a fait objet de discussions de la doctrine [51], mais pour notre propos il convient de retenir que l’a.a.p.a. ne peut pas être intentée en cas de dommages inhérentes de la nature comme agger naturalis. Pour pouvoir combler cette éventualité, il faut faire appel à la procédure formulaire. Effectivement et devant l’impossibilité de valider l’action dans ce cas, Paul ne recule pas devant l’utilisation d’autres modalités offertes par la procédure formulaire[52]. Par ailleurs, d’autres cas d’espèces du Digeste sur l’a.a.p.a. suggèrent que l’interdit quod vi aut clam[53] peut offrir la couverture juridique nécessaire à défaut de l’a.a.p.a., sans exclure d’autres interdits[54]. En l’occurrence, quelle pourrait être l’action utile? Le cas d’espèce discuté par ces trois juristes comporte d’ailleurs comme élément utilisable l’opus manu factum (eius memoria exstat ou non exstat) selon la valeur donnée à la légitimation de la situation: légale dans le premier cas et la coutume de la vetustas pour le deuxième. En tout cas, la prise en compte de toute ingérence humaine pour intenter l’action n’exclut pas une telle intervention sur un agger naturalis.

On assiste ainsi aux croisements des concepts anciens (ne vicini nocet) et récents (utilitas), qui conduiront au principe de l’equitas pour combler les limites de l’a.a.p.a. En référence à la structure analytique de Cicéron, le genre d’aqua pluvia nocens aurait intégré comme espèce la vis aquae qui identifie la cause qui aurait pu générer l’action. Ce nouveau facteur peut suggérer les mutations climatiques et hydrologiques en Italie et le bassin méditerranéen pris en compte dans la modulation du régime de l’action. D’autre part, nous saisissons un écart avec l’orientation inculquée par l’enseignement de Cicéron pour lequel le terme nocere apparait comme l’élément commun de tous les éléments d’espèce qui interviennent dans l’action sans prendre en compte la vis aquae qui conduit logiquement au concept de l’utilitas adopté sans recours par Paul. En effet,le commentaire du juriste sévérien s’attarde aux limites normatives de l’a.a.p.a.: si velim aggerem restituere in agro eius, qui factus mihi quidem prodesse potest, ipsi vero nihil nociturus est et il met en évidence par ce fait les limites du principe à la base de l’action, à savoir l’aqua pluvia nocet qui ne couvre que les dommages et ne prend pas en compte le concept de l’utilitas. Cette position apparaît comme un accomplissement de la volonté exprimée par Labéon à laquelle il n’a pas donné suite.

En somme, les trois strates d’information sur la gestion du risque de l’afflux des précipitations (la vis aquae) qui peuvent se transformer en inondations au détriment du fonds inférieur laissent entendre que l’exigence de l’opus manu factum comme présupposé exclusif de l’action est mise en cause. Mais qu’en est-il de la natura loci non évoquée dans ce cas?

 

3.2. Vitium loci[55] et le partage des responsabilités

 

Cette question se pose explicitement dans le second passage lorsqu’un autre contemporain de Cicéron, Aufidius Namusa[56], concède l’action a.a.p.a. au propriétaire du fonds inférieur, alors que l’eau aurait obstrué par son limon l’écoulement, en sorte que sa stagnation nuit au fonds supérieur: si aqua fluens iter suum stercore obstruxerit et ex restagnatione superiori agro noceat, posse cum inferiore agi.L’action aurait ainsi permis que l’ager soit purgé ut sina purgari et cela non seulement par rapport à un opus manu factum destiné à empêcher l’écoulement, mais également par rapport à tout autre obstacle involontaire: hanc enim actionem non tantum de operibus esse utilem manu factis, verum etiam in omnibus, quae non secundum voluntatem sint.

Cet énoncé établit un rapport entre l’aqua pluvia nocet et l’ager nocet qui engendre la notion de vitium loci identifiée par Cicéron. Namusa n’exclut pas une a.a.p.a. en raison des obstacles issus du vitium loci, quel que soit son origine, artificielle (opus) ou naturelle (verum etiam in omnibus, quae non secundum voluntatem sint)[57]. Pour son cas d’espèce, Namusa utilise le même schéma exigé par l’obligation de patientiam praestare du propriétaire du fonds inférieur de supporter le déblocage du passage qui obstruait l’écoulement de l’eau du fonds supérieur en se rattachant directement au concept d’utilité (esse utilem).

En revanche, Labéon pose différemment le problème en se référant uniquement au changement de la natura loci, mais implicitement à la nécessité de l’existence de manu nocens,selon l’équation établie par Cicéron − aqua pluvia nocens, manu nocens, vitium loci −,  pour pouvoir intenter l’action qui doit, à l’avis de Labéon, être supportée par les deux parties :ait enim naturam agri ipsam a se mutari posse et ideo, cum per se natura agri fuerit mutata, aequo animo unumquemque ferre debere, sive melior sive deterior eius condicio facta sit.

Ainsi et dans le cas d’un vitium loci, la solution proposée par Labéon d’engager les deux parties pour la réparation des dommages de l’aqua pluvia apparaît clairement comme une innovation à la normative initiale de l’a.a.p.a. Du coup le schéma de patientiam praestare suggérée par le responsum de Namusa devient obsolète[58]. En optant cependant pour un partage des responsabilités, l’avis de Labéon est en même temps une solution de compromis par rapport au ius naturale quiimplique le non interventionnisme, mais ne déroge pas à l’exception établie déjà par Q. Mucius Scaevola pour les agri colendi causa[59].

En dernier lieu, et dans la même logique de Labéon sur la natura loci, Paul s’attarde aux raisons catastrophiques qui la modifie comme les tremblements de terre et la violence des vents en rendant également caduque la possibilité d’intenter l’a.a.p.a. pour la réparation des dommages, alors que la solution doit être recherchée ailleurs en fonction de l’équité: sed nos etiam in hunc casum aequitatem admisimus. Quelle qu’elle soit l’origine de ce dernier commentaire[60], il exprime le concept qui justifie la position de Labéon sur le partage des responsabilités des deux fonds superposés, solution équitable et non normative de l’action.

Les trois options pour ce cas d’espèce témoignent d’une évolution par étapes de l’adaptation de la problématique de l’a.a.p.a. aux situations non prévues initialement. En évoquantle concept d’utilitas, Namusa ne conditionne plus l’obligation de patientiam praestare uniquementpar le présupposé de l’opus manu factum, mais accepte également le vitium loci comme présuppos de l’action. Alors que le vitium loci devient de plus en plus difficile à gérer par rapport aux inondations, Labéon souligne les limites de la coutume vicini non nocet et opte pour une responsabilité collective, en annulant de ce fait l’obligation de patientiam praestare. A l’instar des inondations et des catastrophes naturelles, dont la mention pourrait être de la main de son commentateur Paul, le changement de la natura loci abolit les conditions matérielles de la servitude naturelle, ainsi que la conversion de la cause dans une responsabilité collective. Si cette reconstitution est plausible, elle confronte les consensus avec les concepts nouveaux pour proposer des solutions innovantes selon les circonstances, transforme le vitium loci en présupposé pour l’exercice ou l’abandon de l’action et rend négociable l’obligation de patientiam praestare.

 

3.3. Vis fluminis, vitium loci et patientiam praestare

 

C’est effectivement cette obligation qui est au cœur du passage de Trébatius qui identifie spécifiquement une série de cas d’espèce relative aux dommages causés par la force des vagues du fleuve (vis fluminis) gonflé par les précipitations à l’origine des inondations des terrains:

39.3.11.6: Trebatius existimat, si de eo opere agatur, quod manu factum sit, omnimodo restituendum id esse ab eo, cum quo agitur: si vero vi fluminis agger deletus sit aut glarea iniecta aut fossa limo repleta, tunc patientiam dumtaxat praestandam[61].

Il présente deux situations compatibles avec l’exercice de l’action: la première relative à un opus manu factum nuisible qui obligeait le propriétaire à rétablir à ses frais les lieux dans leur premier état (omnimodo restituendum id esse ab eo, cum quo agitur) et identifie ensuite plusieurs objets − une digue ou un talus détruit par les débordements du fleuve(agger deletus sit), des immondices accumulées (glarea iniecta), ainsi que des fossés colmatés (fossa limo repleta), pour lesquels le maître du terrain n'est obligé qu'à laisser le voisin enlever ce qui peut lui nuire (patientiam praestare).

La deuxième possibilité proposée par Trébatius est intéressante à plusieurs égards. De prime abord, le renvoi à la vis fluminis au lieu de la vis aquae pour l’a.a.p.a. semble surprenant, mais il se comprend mieux dans le contexte des inondations catastrophiques du Tibre à l’époque de Caius T. Testa Trébatius, le protégé de Cicéron et le maître de Labéon, qui fut encore actif à l’époque d’Auguste. Or, c’est la période d’intenses inondations du Tibre[62]. Cette occurrence, de l’avis de F. Sitzia, ne semble pas être une interpolation, car elle est présente dans la version grecque des Basilici qui se réfère uniquement au colmatage des fossés[63]. Par ailleurs, la problématique des inondations du Tibre a préoccupé Trébatius qui en fait référence ailleurs en termes saisissants d’un évènement, soit vécu, soit conservé par la mémoire collective: Trebatius refert. Cum Tiberis abundasset et res multa multorum in aliena aedificia detulisset[64] .

La validité de l’action pour les trois objets potentiellement dangereux n’est pas sans équivoque et les opinions des savants restent partagées[65]. Néanmoins, le rapport des cas d’espèces avec l’opus manu factum reste important pour la validité de l’a.a.p.a. qui conditionne aussi l’obligation de patientiam praestare identifiée dans ces termes par Trébatius.

S’agit-il d’une définition rétrospective de l’obligation de patientiam praestare[66] sous la plume de Paul ou d’un compilateur? La question gagnerait en intérêt si l’on prend en compte les données des précédents cas d’espèce analysés ici. En l’occurrence, l’agger de Trébatius détruit par la vis fluminis n’aurait pas été, contrairement à Varus (D. 39.3.2.5), un agger naturalis, pour empêcher l’exercice de l’obligation de patientiam praestare. En revanche, les deux autres cas d’espèce – les immondices et le colmatage des fosses présentés ici comme conséquence de la vis fluminis − auraient pu davantage correspondre à la situation composite décrite par Namusa (D. 39.3.2.6) qui acceptait aussi bien le vitium loci quel’opus manu factum nécessaires pourl’exercicede l’action. En fait, l’expression aut- aut qui enchaîne les deux derniers cas au premier, les présentant ensemble comme la conséquence de la vis fluminis. Quel que soit l’origine de la dénomination dela patientia praestatio, cette obligation arbitraire se révèle elle-même d’époque classique pour être mise en jeu comme un élément de négociation dans l’exercice del’a.a.p.a.

Ainsi,les cas d’espèce de Trébatius synthétisent ceux qui furent rapportés auparavant par Varus et Namusa par la combinaison entre le changement de la natura loci et l’effet nocif du vitium loci. Trébatius semble avoir complété l’équation de Cicéron; aqua pluvia nocens, manu factus et vitium nocens par le rapport direct aux inondations. Dans le même sens, la vision naturaliste des juristes républicains de ne pas altérer la natura rerum aurait pu inspirer Trébatius dans la recherche de la solution de compromis par l’obbligation de patientiam praestare, tout comme Varus et Namusa, mais en l’élargissant également aux deux autres cas potentiellement dangereux et en s’écartant ainsi du schéma de Cicéron pour lequel le vitium loci n’est pas compatible avec l’a.a.p.a. Qui plus est, Trébatius semble mettre en cause davantage l’obligation de patientiam praestare que l’exigence du propriétaire lui-même d’intervenir. Tout compte fait, cette obligation arbitraire nous apparaît comme un élément de négociation appelé à combler des situations de plus en plus complexes et non prévues initialement.

 

4. Controverses entre constances et innovations de la gestion de l’a.a.p.a.

 

La vision théorique de Cicéron présentée à Trébatius dans les Topiques apparaît comme une structure analytique qui est le résultat de la confrontation entre les constances et les innovations dans la gestion de l’a.a.p.a. En revanche, le dialogue intergénérationnel des juristes qui se dégage des trois passages étudiés ici fait état des enjeux qui aboutissent à la modulation des présupposées initialement prévus pour l’action, ainsi que des modalités de son intégration dans la procédure formulaire.

 

4.1. L’apport de la génération de Cicéron pour l’identification de nouveaux présupposées à partir des constances de sa gestion

 

Cicéron a proposé une définition actualisée de l’a.a.p.a., désignée par lui-même comme un quasi ius arcendi qui traduit parfaitement l’esprit des juristes de sa génération dans l’étude des cas d’espèce. En effet, l’a.a.p.a. a identifié initialement le caractère nocif d’aqua pluvia dans l’espace des propriétés limitrophes liées par la servitude naturelle, en définissant le risque du détournement de naturaliter fluere lorsque le présupposé de l’action est l’existence d’un opus manu factum. La génération de Cicéron décompose le genus de l’aqua pluvia nocens en définissant d’abord la nature de l’aqua pluvia, non seulement selon son origine: caelo caedit, mais également en fonction de son ampleur et ses formes: atque imbre crescit (Cicéro, Tubéron), pour identifier ensuite leurs conséquences sur les aspects du risque (nocens) se manifestant par la vis aquae (Varus) et par la vis fluminis (Trébatius). Cette approche conduit à élargir l’espace circonscrit aux propriétés limitrophes et envisage l’éventualité des inondations en procédant par la multiplication des présupposés de l’action. De ce fait, la démarche de décomposition des différentes formes de l’opus manu factum: détruit (Varus), construction nuisible (Trébatius), mauvais fonctionnement ou vétuste (Namusa), conduit à mettre en évidence la nature composite du risque qui ne se limite pas à l’écoulement naturel de l’eau (naturaliter fluere), mais renvoie également à la natura loci (Namusa, Trébatius). Cette nouvelle perception de la nature du risque engendre le cas d’espèce du vitium loci (Namusa). En fait, le vitium loci identifié par Cicéron et illustré par Namusa justifie la définition plus tardive d’Ulpien d’aqua pluvia cum alia mixta sit. La décomposition des formes de l’opus manu factum, génère ainsi une catégorie ambiguë (manu factus), qui ne spécifie pas les aspects de l’intervention humaine et laisse plus de flexibilité à les envisager. La structure analytique de Cicéron rend compte de ces deux cas d’espèce − vitium loci et manu factus – que l’on peut identifier dans les études de cas d’espèce par sa génération (Varus, Namusa, Trebatius) avec des solutions différentes selon les circonstances. Qui plus est, l’obligation arbitraire de patientiam praestare est envisagée également par les trois jurisconsultes comme une forme alternative de limiter les dommages non couverts par l’exercice régulier de l’action. La distinction faite par Varus entre l’opus exstat et memoria non exstat introduit l’ordre institutionnel comme la justification pour la validité de l’action. Du reste, les juristes républicains ont élargi le champ sémantique de la notion d’aqua pluvia et ils ont décomposé les cas d’espèce en leurs éléments constituants pour identifier de nouvelles formes du risque causé par la natura loci et le présupposé initial de l’action, l’opus manu factum.

En fin de compte le risque se définit, non tant par les dommages, que par le fait d’avoir modifié le rythme naturel des choses (naturaliter fluere, natura loci), en dérogeant au ius naturale. Néanmoins, le quasi ius arcendi de Cicéron met en évidence l’insuffisance des moyens juridiques pour traiter la question des précipitations dans son ensemble, insuffisance qu’il tente de résoudre en privilégiant des aspects qui traduisent les réalités de son temps, selon les présupposés de l’a.a.p.a. La mise en évidence des liens intrinsèques et extrinsèques avec l’aqua pluvia, renforce la vision de l’insuffisance des moyens juridiques, tout en étant une forme de gestion intégrée des lieux communs qui subissent les précipitations et leur ampleur. Quel fut l’apport de leurs successeurs en termes de procédures et de réactions aux évolutions climatiques qui apparaissent maintenant importantes sous l’Empire?

 

5. Droit et gestion de l’a.a.p.a. entre la fin de la République et les Sévères

 

Les variations climatiques qu’a connue l’Italie comme le pourtour de la Méditerranée depuis la fin de la République éclairent d’un jour nouveau les commentaires de Paul dans les passages suscités considérés souvent comme interpolés[67]. C’est pourtant la prise en compte du facteur climatique, depuis la génération de Cicéron aux juristes Sévériens en passant par Labéon à la charnière de la République et de l’Empire, qui nous a permis de tracer une trajectoire du passage des actions in lege à la procédure formulaire par l’intégration des situations nouvelles qui renvoient aux changements des présupposés initiaux de l’action. Les exemples cités ici révèlent les limites du principe d’aqua pluvia nocens, alors que de nouvelles situations causées, entre autres, par les changements intervenus dans la natura loci, conduisent à tenir compte des causes et non seulement des conséquences qui dépassent souvent l’espace topographique imposé par cette action. D’ailleurs, ces trois passages laissent entrevoir la difficulté de gérer les dommages qui nuisent à l’écoulement de l’eau de pluie sur les terrains liés par la servitude naturelle, dont l’origine peut dépasser l’existence d’un opus manu factum, condition matérielle stipulée par l’action. Si les juristes républicains reconnaissent la vis aquae comme la cause des dommages, en l’intégrant dans le champ sémantique du genre de l’a.a.p.a. (aqua pluvia nocens), les diverses formes du vitium loci peuvent conduire à des solutions diverses explorées par plusieurs générations de juristes qui manient davantage le manu factus à la place de l’opus manu factum, le principal présupposé de l’action. En revanche, la natura loci devient un incitatif pour combler les lacunes normatives de l’action par la procédure formulaire. Dans le même sens se pose la question du poids réciproque de l’ordre institutionnel ou de la vetustas pour intenter l’action – c’est le cas de l’opus exstat et memoria non exstat d’Alfenius Varus −.

Cet état de choses conduit à envisager l’utilisation d’une nouvelle éthique de gestion basée sur l’utilitas pour offrir des solutions équitables en fonction du droit honoraire. La confrontation des différentes strates de cette évolution jette une lueur sur les retombées sociales de la gestion de l’a.a.p.a. Basée à l’origine sur le ius naturale et les anciens mores, dont le principe ne vicini nocet est le fondement d’une responsabilité individuelle, la teneur de l’action engage ensuite la responsabilité collective face aux situations non prévues initialement, en consolidant l’utilisation de l’obligation de patientiam praestare comme forme de responsabilité collective (Labéon). Pour le reste, la vision prospective du péril suscitée par des précipitations dans tous ces cas d’espèce, encadrés par la vision de Cicéron lui-même, s’intègre dans la perspective des catastrophes qui est un ferment de l’adoption de la démarche résiliente. On privilégie de ce fait l’avancement d’un nouveau concept l’utilitas, envisagée par Labéon et appliquée Paul, car plus équitable, que ce soit par les cas problématiques comme opus memoria non exstat, la flexibilité de la notion de manu factus, les changements de la natura loci et la prise en compte du présupposé de vitium loci en fonction des causes même des précipitations, vis aqua et vis fluminis. En fin de compte ce sont les changements dans la natura loci qui peuvent conduire dans certaines circonstances à l’abandon de l’action.

Ces controverses intergénérationnelles des jurisconsultes dès la République aux Sévères nous conduisent à envisager le cheminement par lequel s’opère la transition d’une approche adaptative de gestion à une démarche résiliente pour la gestion du risque de précipitations. Alors que les juristes de la génération de Cicéron tracent la démarche par la décomposition du genus d’aqua pluvia nocens en espèces par la multiplication de ses présupposés pour générer une nouvelle vision du risque et de la vulnérabilité des espaces concernés par l’a.a.p.a., les juristes de l’Empire établissent les formes de l’intégration de ces données dans la procédure formulaire de gestion de cette action par leur approche critique des solutions républicaines. C’est ainsi que se met en place progressivement une nouvelle éthique de gestion du risque de précipitations qui prend en compte les facteurs du changement par rapport aux situations prévues initialement, dont les variations climatiques en Italie.

 

6. Conclusion: De l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion du risque de précipitations

 

La gestion du risque de précipitations, tout comme le risque d’alluvionnement[68], a mobilisé les divers paliers de la société romaine, secteur privé et public, dans la recherche des modalités de gestion appropriées aux conditions environnementales et sociétales en évolution. L’examen des controverses agraires des juristes et des arpenteurs nous a permis d’identifier l’originalité du concept romain dans la gestion du risque d’inondation par rapport au concept moderne qui se résume dans un syntagme: gérer la vulnérabilité pour construire la résilience. La réflexion théorique de Cicéron dans les Topiques confrontée avec l’esprit de controverse qui se dégage des passages du Digeste étudiés ici nous ont incité à reconnaître dans le cas du risque de précipitations les mêmes éléments qui composent le concept de gestion intégrée du risque d’inondation avec leurs formes propres. Ils s’enchaînent dans un même ordre logique, à savoir la description de l’aléa climatique et l’identification de la vulnérabilité des espaces exposés au risque de précipitations qui conduisent à construire la résilience par le développement des capacités d’absorption des crises territoriales, économiques et sociétales dans les relations de voisinage comme formes de gestion intégrée. Ces capacités aboutissent à l’utilisation et à l’adaptation de l’a.a.p.a. comme instrument légal pour contrer le risque de précipitations dans le cadre des servitudes naturelles, sans exclure la possibilité d’élargir le champ sémantique de ce risque par la multiplication de cas d’espèces. Dans ce sens, la gestion du risque de précipitations dans le cadre de l’a.a.p.a. est non seulement anticipatif, mais également prospectif par la prévision des conséquences des catastrophes. La réflexion théorique et la gestion de cas d’espèces vulnérables au risque de précipitations nous permettent d’esquisser ici quelques paramètres communs de sa gestion dans le cadre de l’a.a.p.a.:

Définitions de l’aléa climatique pour identifier la nature du risque de précipitations

La connaissance du risque de précipitations apparaît comme un souci constant des juristes de le définir, tant par l’aléa (atmosphériques, orages et tumultes) que par ses conséquences nocives sur la vulnérabilité sociale et territoriale dans les rapports de voisinage d’un espace rural. La décomposition de cette définition en fonction de la structure analytique genre-espèces a, d’ailleurs, conduit Cicéron à entrevoir les capacités de gestion intégrée de ce risque, même au-delà du champs sémantique de l’a.a.p.a.; ainsi la mise en valeur des éléments extrinsèque de la définition.

L’idenfication de la vulnérabilité territoriale et sociétale

L’exposition des causes de ce risque(vis aqua, vis fluminis) comme préalable à la description des cas d’espèces suggère la nécessité des mesures d’absorption de crises qui, dans le cas de la vis fluminis dépassent le cadre de servitude naturelle, tandis que dans le cas du vitium loci, il déclenche le potentiel des crises.

La multiplication des présupposés de l’action: opus manu factum, manu factus, natura loci, vitium loci, ainsi que la définition de leur fonctionnalité (utile, nocive, vetuste, etc,) témoignent de la nature de la vulnérabilité territoriale. En revanche, l’exercice de l’obligation arbitraire de patientiam praestare éclaire d’un jour nouveau l’évolution de la vulnérabilité sociale durant l’Empire. En effet, cette obligation individuelle et arbitraire des rapports de voisinage comme alternative à l’obligation principale de restitutio suis sumptibus, se transforme en instrument de négociation sociale allant jusqu’ à la fusion des deux formes d’obligations, principale et arbitraire, en une responsabilité collective pour la restitution de l’équilibre écosystémique en cas de crise. D’autre part, la prévision des catastrophes conduit à des conséquences extrêmes qui annulent les rapports de voisinage eux-mêmes.

Identification des formes de gestion intégrée pour développer des capacités d’absorption des crises

Le souci constant de multiplier les éléments de définition d’aqua pluvia pour identifier la vulnérabilité territoriale et sociétale, ainsi que les formes prévisibles des dommages, concourent pour reconnaître des aspects de gestion intégrée du risque de précipitations et conduisent sans ambages à une démarche résiliente de gestion.

Nous assistons ainsi à l’inflexion des paradigmes représentés par les présupposés de l’action et l’adéquation des formes de gestion qui puisent dans la procédure formulaire quant à l’exercice ou au refus de l’action, au choix d’alternatives dans des cas extrêmes de crise, ainsi qu’aux formes de négociation sociale pour la préservation de l’équilibre environnemental. Cet état de choses conduit à l’adoption d’une double structure pour la gestion du risque de précipitations: normative par la modulation des présupposés et équitable par le maniement des concepts. De surcroit, les retombées des causes des précipitations dans le cas de vis fluminis conduisent à envisager d’autres espaces qui ne sont pas couverts par l’action, ce qui pourrait être éventuellement le cas du lien extrinsèque établi par Publius Mucius Scaevola. Ce dernier cas ferait état des limites de l’action pour embrasser l’ensemble de la problématique du risque de précipitations. Enfin, l’une des lacunes à l’époque classique reste l’intégration des naturaliter res dans la sphère de compétence de l’action, alors que la natura loci devient un élément de la modulation des paradigmes en fonction des changements environnementaux. L’intégration du ius naturale dans la structure logique du ius civile conserve ses limites par l’exercice même de l’a.a.p.a. D’autre part, l’évolution des définitions naturalistes des milieux ripariens (ripa, litus) des juristes républicains tentent de garder l’équilibre environnemental par la conservation du statut public de l’espace couvert par les rives et les rivages.

 

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Cet essai a tent de dégager à partir des passages ci-dessus des Topiques de Cicéron et du Digeste sur a.a.p.a. un débat intergénérationnel. Ce dialogue virtuel aurait amorcé par étapes la transition de l’approche adaptative à la démarche résiliente de gestion du risque de précipitations en fonction de la reconnaissance de la vulnérabilité des espaces exposés au risque et couverts par l’action de l’a.a.p.a. En guise de conclusion, il convient de revenir au point de départ − la tradition la plus ancienne des XII Tables comme aqua pluvia nocens − qui nous a permis de suggérer un processus capable d’intégrer l’aspect climatique dans la structure même de cette action et tracer ainsi quelques paramètres de son évolution historique, dont nous rappelons ici les grandes lignes.

Les juristes républicains ont mis en valeur la vulnérabilité des espaces exposés au risque de précipitations en décomposant la formule de l’aqua pluvia nocens, provenant des XII Tables et identifiée par Cicéron comme genre, en deux éléments. Cette dichotomie se traduit, d’une part, par l’affinement de la définition de l’aqua pluvia et de l’autre, par la multiplication des présupposés relatifs à sa nuisance. En revanche, les juristes de l’Empire incorporent ces données sur la vulnérabilité des espaces à risque selon le schéma intégrateur du ius civile. Cependant, le «quasi ius arcendi» des Topiques de Cicéron étaye une éthique de gestion qui s’enrichie graduellement grâce aux nouveaux concepts de l’utilité et de l’équité. En effet, ce «quasi ius arcendi», issu du jeu entre le genus d’aqua pluvia nocens et ses espèces, apparaît comme le reflet des préoccupations des premières générations de jurisconsultes républicains de définir l’aqua pluvia et de moduler l’application des présupposés de l’a.a.p.a. dans l’esprit de ces nouveaux concepts. Par ailleurs, la diversification de la nature du présupposé initial de l’action – la tutelle de l’objet qui a modifié le cours naturel de l’eau – nous a révélé en même temps divers aspects de la définition elle-même de l’aqua pluvia à prendre en compte dans les solutions adoptées par différents jurisconsultes comme des formes de gestion intégrée de l’eau.

La conjugaison des deux approches, d’abord les efforts pour aboutir à une définition globale et flexible d’une res naturalis, pour justifier ensuite la multiplication des présupposés d’action et les formes de leur gestion, nous a conduit à envisager l’a.a.p.a. en termes de gestion du risque de précipitations, dont le risque de dommages n’est qu’un aspect.

Ce constat nous a incité à poursuivre la comparaison de la gestion du risque de précipitations comme un élément du concept romain de gestion du risque d’inondation qui enchaîne sa démarche résiliente face à ce risque en fonction de la vulnérabilité initiale des espaces à risque, aussi bien pour évaluer les dommages que pour gérer les conséquences sur les rapports communautaires, pour les droits de propriété et les effets économiques.

 

Abstract: The analysis of the actio aquae pluviae arcendae (herein after a.a.p.a.) in Cicero’s Topica 4.24; 9.38-39 confronted with Digeste 39. 3.2.5-6; 39. 3.11.6, reveals that from the last Republican century to the Severian era, the decomposition of the initial data of the action allows understanding how lawyers view change from an adaptive to a resilient approach to the management of the a.a.p.a. Indeed, this resilient approach modifies the basic data of the action, multiplying specific cases and taking more account of the different form of the opus manu factum and of the natura loci as a criterion for seeking solutions while favoring, as a negotiation tool, the obligation of patientiam praestare, a procedure which may reflect the resilience approach to the environmental conditions of the historical context

 

Keywords: aquae pluvia arcendae, ambitus praediorum, Quintus Mucius Scaevola, manu factus, vitium loci, vis aquae/fluminis, utilitas, equitas, resilience.

 

 


* Il contributo è stato sottoposto a double blind peer review.

[1] Dans l’œuvre rhétorique de Cicéron (De Oratore (55), Brutus (46), De optimo genere oratorum (46), Partitiones oratoriae (46), le traité Topica (44) apparaît comme un aboutissement de son programme de définir le concept du ius civile en s’inspirant des outils méthodologiques de la rhétorique – les topoi, les lieux communs comme points de départ, ou en latin, les loci, comme points de repère de la recherche des arguments susceptibles à convaincre l’auditoire, L. Pernot, Lieu et Lieu commun dans la rhétorique antique, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 3, 1986, p. 253 ss., www.persee.fr. Sur l’aspect didactique de verborum significatione, à savoir la définition des mots, M. Villey, Recherches sur la littérature didactique du droit romain, Paris 1945 qui renouvelle l’intérêt pour la thématique de la définition juridique considérée longtemps comme marginale.

[2] Les œuvres De Republica (54-51), De Legibus (52), De Officiis (44-43) sont pénétrés de la philosophie morale de Panétius et du «cercle du Scipion Émilien». Sur le milieu intellectuel des premières générations de jurisconsultes et l’influence hellénistique depuis l’annexion de la Grèce en 146 avant notre ère, A. Schiavone, Giuristi e nobili nella Roma Repubblicana. Il secolo della revolutione scientifica nel pensiero giuridico antico, Roma 1992; A. Schiavone, IUS. L’invention du droit en Occident, trad. de l’italien G. et J. Bouffartigue, Paris 2008. M. Bretone, I fondamenti del diritto romano. Le cose e la natura, Roma-Bari 1998. Sur l’influence de l’Académie sceptique sur la méthode de structuration des topoi dans les Topiques de Cicéron, O. Behrends (éd., J. Peyras), Les rapports entre la terminologie gromatique et celle de la jurisprudence classique, in D. Conso et al., edds., Le vocabulaire technique des arpenteurs romains, Besançon 2005, p. 203 s.; Ph. Memo, L’histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Paris 1998, p. 309 ss.

[3] Sur ces aspects et sur l’influence considérable de l’œuvre durant le Moyen âge et la Renaissance, T. Reinhardt, Cicero’s Topica, Oxford Classical Monograph 2003, Introduction, p1 ss. Ainsi, les Topiques de Cicéron ont joui, entre autres, des Commentaires de Boethius, philosophe du VIe siècle, lui-même adepte d’Aristote. Cet aristocrate romain, qui vécut sous le règne de l’Ostrogothe Théodoric, a beaucoup influencé la réflexion logique de son époque, R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, Milano 1966, p. 50 ss.

[4] R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, cit., p. 42 ss., trace les grandes lignes de la démarche analytique pour clarifier la signification des définitions, en partant des caractéristiques communes du genus jusqu’aux traits spécifiques (proprium) des species, et en utilisant différentes formes classificatoires (modus definiendi), comme partitio, divisio, translatio, descriptio et en utilisant l’étymologie. La fonction des définitions républicaines est définie comme topique-interprétative des différents termes exposés.

[5] Pour les estimations de l’évolution du climat de cette période: F. Ortolani - S. Paliuca, Changements climatiques et environnementaux des derniers 2000 ans dans l’espace méditerranéen, in E. Hermon (ed.), Société et Climats. Pour une perspective historique et systémique de la gestion des ressources en eau dans l’Empire romain, Napoli 2009, p. 51 ss., avec l’intégration des données paléoenvironnementales: C. Allinne, L’évolution du climat à l’époque romaine en Méditerranée occidentale: aperçu historiographique et nouvelles approches, in E. Hermon (éd), Vers une gestion, intégrée de l’eau dans l’Empire romain, Roma 2008, p. 89 ss.; les inondations des grands fleuves comme le Tibre en Italie: Ph. Leveau, Les inondations du Tibre à Rome: Politiques publiques et variations climatiques à l’époque romaine, in E. Hermon (éd.), Vers une gestion, intégrée, Roma 2008, p. 137 ss.; G. S. Aldrete, Floods of the Tiber in Ancient Rome, Baltimore 2007; P. Bersani - M. Bencivenga, Le piene del Tevere a Roma dal V secolo a.C. all’anno 2000, Roma 2001; M. Chassignet, Les catastrophes naturelles et leur gestion dans l’Ab Urbe Condita de Tite-Live, in R. Bedon - E. Hermon (éds), Concepts, pratiques et enjeux environnementaux dans l’Empire romain, Caesarodunum XXXIX, (2005), p. 337 ss.; J. Le Gall, Il Tevere, fiume di Roma nell’Antichità in C. Moccheggiani Carpano - G. PisaniSartorio (a cura di), Roma (2005); A. Guaglianone, Roma contro il Tevere: le devastazioni delle esondazioni nell’antichità e i tentativi di sottrare l’Urbe alla furia dell fiume, in P. Lanciani, Forma Urbis Romae, Roma 2017, p. 5 ss.; plus récemment sur les divers fleuves du pourtour de la Méditerranée, T. V. Franconi, ed., Fluvial Landscapes in the Roman world, Portsmouth, Rhodes Island 2017. Sur les questions juridiques en rapport avec l’environnement: M. Fiorentini, Precedenti di diritto ambientale a Roma? I. La contaminazione delle acque, Index 34 (2006) 353 ss.; Id., Equilibri e variazioni ambientali nella prospettiva della tutela processuale romana, in E. Hermon (ed.), Société et climats dans l’Empire romain, cit., p. 69 ss.

[6] S. Riera et al., Variabilité climatique, occupation du sol et paysage en Espagne de l’Âge du fer à l’époque médiévale, l’intégration des données paléoenvironnementales et de l’archéologie du paysage, in E. Hermon, Société et climats dans L’Empire romain,cit., Fig. I, p. 257.

[7] R. Bedon, Climat, météorologie et environnement en Gaule non méditerranéenne durant la période romaine (de la deuxième moitié du Ier siècle avant notre ère à la fin du Ve siècle de notre ère), in E. Hermon, Société et climats dans L’Empire romain, cit., p. 189 -191.

[8] M. Pasquinucci - S. Menchelli, Variazioni climatiche nella Tosacana nord-occidentale: indagini multidisciplinari e prime riflessioni, in E. Hermon, Société et climats dans L’Empire romain,cit., p. 377 ss.

[9] C’est la formule ancienne d’un fragment de l’antique a.a.p.a décemvirale: Tab.7.8a +FIRA I2. 50: Si aqua pluvia nocet, F. Sitzia, Ricerche in tema di Actio aquae pluviae arcendae. Dalle XII tavole all'epoca classica, Milano, 1977; F. Salerno, Opus manu factum natura agri et l’utilisation de l’eau de pluie dans la jurisprudence romaine, in E. Hermon, Vers une gestion intégrée de l’eau dans l’Empire romain, Roma 2008,nt. 4, p. 272;S. Piloni, Actio aquae pluviae arcendae ed obbligo di patientiam praestare in presenza di un agger naturalis. Su Paul. 49 ad.ed. D. 39. 3.2.3-6, BIDR, 4 serie, VIII (2018), nt. 19. p. 163.

[10] C’est dans cet esprit que nous avons étudié la culture juridique romaine de la gestion du risque d’inondation, en s’inspirant du modèle analytique moderne de gestion de ce risque pour identifier des formes comparables relatées par les sources juridiques et gromatiques. En distinguant les diverses composantes du risque, l’aléa climatique, les espaces exposés au risque, nous avons identifié l’originalité du modèle romain de gestion qui construit la gestion du risque d’inondation, dont les précipitations sont l’une des causes. Nous avons ainsi identifié des formes de vulnérabilité sociétale et environnementale pour construire la résilience, E. Hermon, La culture juridique romaine de gestion résiliente du risque d’inondation, Index 48 (2020), p. 375-418. Dans le même esprit, la perception du danger pour la prévention des dommages provoqués par l’eau de pluie dans une perspective préventive et prospective apparaît comme la dynamique qui transforme la tradition juridique l’a.a.p.a. en laboratoire pour identifier des formes de gestion du risque de précipitations à Rome.

 

11 Pour la vaste bibliographie juridique sur le sujet, je renvoie aux études récentes en rapport avec les thèmes abordés dans cet essai: L. Parenti, Osservazioni sul «patientiam praestare», in Labeon, Teoria e storia del diritto privati, V (2012), p. 1 (http://www.teoriaestoriadeldirittoprivato.com); S. Piloni, Actio aquae pluviae arcendae, cit., nt. 1, p. 147 ss.; Ead., L’obbligo di patientiam praestare nel contesto di D. 39.3.2 (Paul I.49 ad ed.). Il caso della fossa agrorum siccandorum causa di cui ai §§ 1 e 2n., in Riparia (V) 2019, p. 139ss., http://dx.doi.org/10.25267/Riparia, 2019.v5.05; N. Donadio, La tutela del rischio di danni da aqua pluvia nelle soluzioni giurisprudenziali tra tarda repubblica ed età severiana: a proposito di D. 39.3.2.5 (Paul. 49 ad ed.), in IUS, 2 (2014), p. 231 ss.; également F. Pulitanò, D. 39.3.4: Casistica giurisprudenziale in tema di actio aquae pluviae arcendae tra prerogative dei privati e interessi pubblici, in IUS, 2 (2014), p. 255 ss.

[12]F. Schulz, History of Roman Legal science, Oxford 1946; F. Wieacker, Vom Verhältnis der römischen Fachjurisprudenz zur griechisch hellenistischen Theorie, in IURA (1969) p. 448–477; O. Behrends, Die Wissenschaftslehre im Zivilrecht des Q. Mucius Scaevola Pontifex Ruprecht 1976 = Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, philologisch–historische Klasse, 1976, p. 265–304]; D. Nörr, Divisio e Partitio. Bemerkungen zur römischen Faschjurisprudenz zur antiken Wissenschaftstheorie, Berlin 1972; M. Talamanca, Lo schema 'genus–species' nelle sistematiche dei giuristi romani, in La filosofia greca e il diritto romano, vol. II, Roma 1976, plus concrètement sur les sujets qui nous intéressent ici: spécialement sur Q. Mucius Scaevola - G. Scherillo, Note critiche su opera della giurisprudenza romana, Iura 3 (1952), p. 180 ss., et sur les techniques définitoires des juristes républicains, R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, cit., p. 89 ss.

[13] Le juriste Gaius Aquilius Gallus, l’élève de Q. Mucius Scaevola, exerça la préture avec Cicéron en 66 avant notre ère, E. Badian, Aquilius, Ox. Cl. Dict., Oxford 1969, p. 90. Il est l’auteur de la définition naturaliste au litus: quid esset litus, ita definire, qua fluctus eludere; hoc est, quasi qui adulescentiam florem aetatis, senectutem occasum vitae velit definire; translatione enim utens discedebat a verbis propriis rerum ac suis, Topica, 7.32. Il ne s’agit pas de ce que Cicéron considère comme une métaphore qui exploite à l’excès l’argument de la similitude pour définir les choses(definitio per translationem), car à l’instar des définitions des ripae, cette définition estutilisée en vue des litiges pour la tutelle du littoral vraisemblablement au moyen des interdits, R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, cit., p. 100 s., nt. 27. Sur l’évolution de la question dans la procédure juridique et ses implications sur la gestion de l’environnement: M.Fiorentini, Fiumi e mari nell’esperienza giuridica romaina,Milano 2003, p. 427 ss.;C. Masi Doria, Litus maris: définitions et controverses, in E. Hermon - A. Watelet, Riparia, un patrimoine culturel, Oxford 2014, p. 233 ss.; L. Maganzani, Riparia et phénomènes fluviaux entre histoire, archéologie et droit, in E. Hermon, Riparia dans l’Empire romain. Pour la définition du concept, Oxford 2010, p. 247 ss. E. Hermon, Un concept global des bords de l’eau, in G. Caneva et al. (a cura di), Roma, Tevere, litorale, Ricerche tra passato e presente, Roma 2018, p. 177 ss. La définition naturaliste du litus par Aquilius est destinée à justifier son statut public en l’affranchissant de son appartenance aux res communis omnio et par conséquence au ius gentium. Cette même approche naturaliste est à l’origine des définitions adoptées plus tard par les juristes pour élargir la surface du litus en jonglant entre la res publica et res comunis omnio, entre ius naturale et ius gentium.

[14] Cicéron fait la distinction entre le père Publius, tribun 141 et consul 133 avant notre ère et le fils Quintus, cos. 95 avant notre ère, les deux grands pontifes, jurisconsultes et hommes politiques, le premier est réputé pour avoir publié, voire éditer des Annales, tandis que le deuxième a publié le premier traité systématique du droit civil qui inspira ses successeurs, E. Badian, Scaevola, (2) et (4) Ox. Cl. Dict., Oxford 1969, p. 957. Publius est spécifiquement désigné dans les Topiques, pour la gestion des eaux de pluie urbaine avec son praenomen et cognomen Publius Scaevola (Topica, 4. 24). Cicéron reste imprécis pour avoir cité plus loin un certain Mucius comme exemple d’un locus a coniugatione à propos de la définition d’aqua pluvia (Topica, 9.38). Il s’agirait du fils Scaevola, Quintus, dont nous connaissons l’intérêt pour les définitions, pour leur avoir dédié un livre intitulé, Horoi. Malgré les références à Quintussur l’a.a.p.a. conservées par le Digeste, E. Hermon, Q. Mucius Scaevola et le ius naturale. La construction de la résilience dans la gestion du risque d’inondations, JUS, 1 (2021), p. 1 ss., rien n’indique, à l’avis de A. Watson, The Law of Property in the Later Roman Republic, Oxford 1968p. 161, n. 1, que toutes les autres références du Topica à l’aqua pluvia proviennent de Quintus. En effet, on attribue avec certitude à Quintus seulement trois passages dans les Topiques, T. Reinhardt, Cicero’s Topica, p. 70, alors que ce juriste avait consacré son livre, Horoi, au thème des définitions.

[15] Sed ex his locis in quibus argumenta inclusa sunt, alii in eo ipso de quo agitur haerent, alii assumuntur extrinsecus. In ipso tum ex toto, tum ex partibus eius, tum ex nota, tum ex eis rebus quae quodam modo affectae sunt ad id de quo quaeritur. Extrinsecus autem ea ducuntur quae absunt longeque disiuncta sunt, Topica, 2. 8.

[16] Infra, 3.2 sur D. 39.3.11, à propos de la vis fluminis.

[17] Cicéron, Topica, 9.38, cit., p. 17, nt. 19.

[18]D. 39.3.1pr. (Ulp. 53 ad ed.). C’est d’ailleurs la définition acceptée également par le juriste républicain, Aelius Tubero (cos. 11 av. notre ère) à laquelle Ulpien ajoute les autres dommages que l’eau de pluie aurait pu entraîner.

[19] En évoquant Q. Mucius Scaevola, Cicéron ne se réfère qu’à sa définition de l’aqua pluvia et non pas à l’a.a.p.a., T. Reinhardt, Cicero’s Topica, cit., p. 279. Néanmoins, cette définition peut également inférer une application élargie de l’a.a.p.a. à des situations diverses, non prévues initialement, tout comme les autres définitions citées plus haut.

[20] Supra, nt. 18. Pour amplifier effet destructif du terme nocens qui apparaît dans les XII Tables et identifié comme genus de l’action par Cicéron, celui-ciaurait projeté le qualificatif de destructif à ses species pour définir à travers cette vision del’a.a.p.a., un quasi ius arcendi, Topica, 9, 39et infra, p. 17 e nt. 39.

[21] Publius aurait écrit 10 livres sur le droit civil en s’appliquant dans ses responsa notamment aux questions relatives à l’interprétation des XII Tables en fonction des perceptions de son époque, A. Schiavone, Ius. L’invention du droit en Occident, Paris 2008, p. 230 ss. Cet auteur attribue, p. 239, à Publius la plus antique définition sur la notion d’ambitus aedium connue dès les XII Tables, tout comme R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, cit., p. 8 s, sans approfondir la signification.

22 T. Reinhardt, Cicero’s Topica, cit., p. 255 et bibliographie.

[23] Ainsi D. 39.3.17 (Ulp. 53 ad ed.,) exclut l’exercice de l’a.a.p.a. lors de la présence des édifices sur le terrain: quam si aqua pluvia agro noceat ceterum si aedificio vel oppido noceat, cessat actio ista, alors que Topica, 10. 43 établit le rapport de l’a.a.p.a. avec l’actio de finium regundorum: quam urbis, finibus regendis adigere arbitrum non possis, sic, si aqua pluvia in urbe nocet, quoniam res tota magis agrorum est, aquae pluviae arcendae adigere arbitrum non possis. Selon A. Watson, The Law of Property, cit., p. 172, il pourrait s’agir d’une interprétation des sources, car aucun texte légal n’établit cette coïncidence pour les deux actions qui ont des objectifs différents.Dans ces circonstances, il nous semble que la raison de cette coïncidence dans les Topiques pourrait relever de l’importance accordée à l’a.a.p.a. Par ailleurs, A. Rodger, Owners and Neighbours in Roman Law, Oxford 1972, p. 147 ss., explique que la raison de l’analogie entre les deux actions dérive de la formulation de l’action en termes d’ager nocere en milieu rural, telle qu’elle apparaît dans les textes suscités.

[24] Pour l’actio finium regundorum D. 10.1.4.10 (Paul 23 ad. ed.) qui concerne les praedia rustiques en excluant les praedia urbaines. Cette restriction s’était conservée jusqu’à l’Antiquité tardive, J. Peyras, Documents d’arpentage de l’Antiquité tardive, Besançon 2013, p. 50-68.

[25] Cicéron aurait fait allusion dans le passage à l’actio de finibus regundorum comme locus ex comparatione avec l’a.a.p.a. En fonction de cet énoncé, A. Watson, The Law of Property, cit., p. 115 s., suggère qu’une interprétation restrictive de cette institution au milieu rural n’était pas encore connue au temps de Publius Scaevola et qu’elle a eu lieu dans l’intervalle qui se situe entre Publius et Cicéron. Voir les réserves de A. Rodger, Owners and Neighbours in Roman Law, p. 148 s. et supra, nt. 23.

[26] Vitruve, 1.1.10, T. Reinhardt, Cicero’s Topica, cit., nt. 8, p. 254.

[27] A. Watson, The Law of Property, cit., p. 116.

[28] Selon T. Reinhardt, Cicero’s Topica, cit., p. 253, il s’agirait d’une projection virtuelle de 2 ½ pieds pour contourner une éventuelle restriction de l’imposition de l’ambitus en ville. Par ailleurs, les circonstances décrites par ce responsum pourraient également suggérer l’actio de fluminis et stillicidiis qui est consacrée, à part aux fleuves, à l’eau de pluie qui dégoute des toits, mais la doctrine est partagée, quant à l’époque de son application et l’authenticité des textes qui la décrivent, notamment pour la servitude stillicidii non recipiendi, ainsi que son rapport avec l’a.a.p.a., A. Roger, Owners and Neighbours in Roman Law, cit., p.140 ss. Toutefois, il faut retenir que le passage D. 39.3.17 (Ulp. 53 ad ed.), cit. supra, nt. 23, établit un consensus sur la foi des sources cités qui envisagent comparativement les deux actions: l’actio de fluminiis et stilicendiis avec une application générale, tandis que l’a.a.p.a. s’applique uniquement aux dommages de l’ager −la projection virtuelle de l’ambitus, ce qui pourrait être la raison du responsum de Publius: Et ideo Labeo et Cascellius aiunt aquae quidem pluviae arcendae actionem specialem esse, de fluminibus et stillicidiis generalem et ubique agi ea licere. Itaque aqua, quae agro nocet, per aquae pluviae arcendae actionem coercebitur. Cette généralisation ville-campagne de la servitude peut dater du temps de Cascellius, au Ier siècle av. J.-C., ce qui n’exclue pas la validité de l’a.a.p.a. en territoire frontalier, avec la différence que la servitude est in rem et l’a.a.p.a. in personam, Id., p. 159.

[29] Les inondations de 158 avant notre ère, citées par Obséquens, 16, semblent les plus probables pour avoir été vécues par Publius. Nous utilisons ici la liste des inondations du Tibre présentée par A. Guaglianone, Roma contro Tevere, cit., tab. I, p. 50 en fonction de J. Le Gall, Il Tevere, fiume di Roma nell’Antichità, cit.

[30] Infra § 3.3.

[31] Supra, nt. 28.

[32] Dans son Enchiridium repris par D. 1.2.2.41: Post hos Quintus Mucius Publii filius pontifex maximus ius civile primus constituit generatim in libros decem et octo redigendo.

[33] Supra, nt. 12.

[34] K. Tuori, The myth of Quintus Mucius Scaevola: Founding father of legal science? The Legal History Review, 72, 3-4 (2004), p. 243-262; L. Winkel, Quintus Mucius Scaevola once again, Ex iusta causa traditum: essays in honnour of Eric H. Pool, in R. Van der Bergh - G. Van Niekerk - E.H. Pool, Praetoria 2005, p. 425-333. Effectivement on trouve dans les Topiques seulement trois passages: 6.29; 8.37; 9.38, qui peuvent être attribués avec certitudes à Quintus et seulement une seule relative à l’aqua pluvia, bien qu’il soit lui-même auteur d’un livre des définitions, R. Martini, Le definizioni dei giuristi romani, cit., p. 92 ss. et supra, nt. 14.

[35] D’ailleurs, Cicéron a pu prendre connaissance, soit directement du responsum du Publius, soit par l’intermédiaire du fils, Quintus, A. Schiavone, Giuristi e nobili nella Roma repubblicana, Roma-Bari 1992, p. 20.

[36] Le terme servitus naturalis est proposé par L. Capogrossi Colognesi, La struttura della propriétà e la formazione dei iura praediorum”, II, Milano 1976, p. 516 ss., pour désigner la servitude qui est déterminée par la position topographique des propriétés. Voir également F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri. Dalle XII tavole al pensiero di Labeone, Cagliari 1999, p. 134 s., qui attribue à Labéon l’origine de la notion.

[37] On compte encore neuf grandes inondations du Tibre entre les années 60 avant notre ère et Ier siècle de notre ère, A. Guaglianone, Roma contro Tevere, cit., tab.I, p. 50.

[38] L’inondation de 44 avant notre ère (Horace, Carm.2.13-20).

[39] Rien n’indique que cette structure analytique de l’action provienne de Quintus Mucius Scaevola comme suite au passage 9.38 où il est identifié à propos de l’utilisation de l’argument de l’affinité des mots (locus a coniugatione), T. Reinhardt, Cicero’s Topica, cit., p. 281.

[40] La doctrine est partagée quant à l’origine du terme manu nocere, soit dès les XII Tables, soit depuis la République tardive. N. Donadio, La tutela del rischio di danni, cit., p. 235. Quoi qu’il en soit, la signification générique du terme manu factus par rapport au présupposé d’origine − opus manu factum – tire sa force de l’agencement des éléments de la structure analytique de Cicéron qui reflète l’esprit de ses contemporains.

[41] F. Salerno, «Natura agri», «natura loci», «naturaliter fluere». Environnement et productivité des fonds dans le D. 39.3, in E. Hermon (éd.) Société et climats dans l’Empire romain, cit., p. 151 ss.

[42] A. Berger, Patientiam praestare, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, Transaction American Philosophical Society, 43.2. (1952), p. 630, comme une sorte de protestation de la part du voisin lorsque l’écoulement naturel de l’eau de pluie sur son terrain est empêché par un opus sur le terrain du voisin, alors que le dernier était obligé par l’action de supporter cette intervention étrangère sur son terrain. Dans le cadre de l’action, il s’agit d’une clause arbitraire, car le prévenu peut l’éviter s’il restitue l’ancien rapport de dépendance entre les fonds. M. Bretone, I fondamenti del diritto romano. Le cose e la natura, Roma-Bari 1998, p. 100. Selon L. Parenti, Osservazioni sul«patientiam praestare», cit., 1 ss. et bibliographie il s’agirait d’une obligation et d’une responsabilité en même temps, connue à l’époque classique.

[43]Item Varus ait: aggerem, qui in fundo vicini erat, vis aquae deiecit, per quod effectum est, ut aqua pluvia mihi noceret. Varus ait, si naturalis agger fuit, non posse me vicinum cogere aquae pluviae arcendae actione, ut eum reponat vel reponi sinat, idemque putat et si manu factus fuit neque memoria eius exstat: quod si exstet, putat aquae pluviae arcendae actione eum teneri. Labeo autem, si manu factus sit agger, etiamsi memoria eius non exstat, agi posse ut reponatur: nam hac actione neminem cogi posse, ut vicino prosit, sed ne noceat aut interpellet facientem, quod iure facere possit. Quamquam tamen deficiat aquae pluviae arcendae actio, attamen opinor utilem actionem vel interdictum mihi competere adversus vicinum, si velim aggerem restituere in agro eius, qui factus mihi quidem prodesse potest, ipsi vero nihil nociturus est: haec aequitas suggerit, etsi iure deficiamur.

[44]Auteur d’une Digesta en 40 livres, A. Berger, Alfenus Varus, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, cit., p. 359.

[45] S. Piloni, Aqua pluviae arcendae, cit., nt. 4, p. 151, qui suit à ce propos F. Sitzia, Ricerche in tema di “actio aquae pluviae arcendae”. Dalle XII tavole all’epoca classica, Milano 1977, nt. 70, p. 95, explique que la vis aquae peut être provoquée par la position topographique du terrain. Bien que plausible, cette hypothèse n’exclut pas la possibilité que la force des précipitations soit d’origine atmosphérique. Le texte ne donne aucun indice sur la position du terrain, mais identifie la cause probablement exceptionnelle des dommages importantes de l’eau de pluie au point de détruire une digue.

[46] F. Salerno, Natura loci, cit., p. 159.

[47] Fils d’un autre juriste Pacuvius Antistius qui se suicida après Philippi, le juriste augustéen Labéon, l’élève de Trébatius, fit la transition entre la République et l’Empire, tout en étant un défenseur de la République (~ 50av. ~ 11 de notre ère). Il écrit plus de 400 volumes dont des sententiae, responsae, episulae, un commentaire des XII Tables et de l’édit prétorien, étant une source importante pour les juristes sévériens, A. Berger, Labeo, Marcus Antistius, Encyclopedic Dictionary of Roman Law, cit., p. 536.

[48] Trad. F. Hulot, Corpus Iuris civilis, www.histoire du droit.fr/corpus-iuris-civilis.html.

[49] Selon F. Sitia, Aqua pluvia et natura agri, cit., p. 66, seule la patientiae praestatio était accordée dans le cas d’un opus cuius memoria non exstat et non pas dans celui de l’obligation principale, la restitutio suis sumptibus.

[50] S. Piloni , Actio aquae pluviae arcendae,cit., nt. 13, p. 159.

[51] Pour les différentes positions de la doctrine sur le rapport entre le commentaire de Paul et la pensée de Labéon, F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri, cit., p. 64 ss., et bibliographie antérieure; F, Salerno, Opus manu factum, cit., p. 274; N. Donadio, La tutela del rischio di danni, cit., p. 259 s. Il convient cependant de prendre en compte, sur la foi des Topiques de Cicéron, que la notion de l’équité en rapport avec le ius civile n’est pas étrangère à la réflexion juridique, déjà durant la République: ius civile est aequitatas constituta iis, … eius autem aequitatis utilis est cognitio, Cicéron, Topica, 2.9.

[52] Voir à ce propos la discussion de S. Piloni, Actio aqua pluvio arcendae, cit., p. 157 ss.

[53] À propos du passage D. 39.3.5 (Paul 49 ad): L. Parenti, Osservazioni sul «patientiam praestare», cit., p. 8 ss.; F. Pulitanò, Casistica giurisprudenziale, cit., p. 263. Sur cet interdit, notamment: M. David, Études sur l’interdictum quod vi aut clam, Paris 1947, p. 147 ss.; L. Capogrossi Colognesi, L’interdetto quod vi aut clam e il suo ambito d’applicazione, in Index, XXI (1993), p. 221 ss.; Id., Proprietà e diritti reali. Usi e tutela della proprietà fondiaria nel diritto romano, Roma 1999, p. 5 ss.

[54] Moins probable l’interdictum restitutorium, S. Piloni, Actio aquae pluviae arcendae, cit., nt. 13, p. 159; N. Donadio, La tutela del rischio di danni, cit., p. 252.

[55]Apud Namusam relatum est, si aqua fluens iter suum stercore obstruxerit et ex restagnatione superiori agro noceat, posse cum inferiore agi, ut sinat purgari: hanc enim actionem non tantum de operibus esse utilem manu factis, verum etiam in omnibus, quae non secundum voluntatem sint. Labeo contra Namusam probat: ait enim naturam agri ipsam a se mutari posse et ideo, cum per se natura agri fuerit mutata, aequo animo unumquemque ferre debere, sive melior sive deterior eius condicio facta sit. Idcirco et si terrae motu aut tempestatis magnitudine soli causa mutata sit, neminem cogi posse, ut sinat in pristinam locum condicionem redigi. Sed nos etiam in hunc casum aequitatem admisimus.

[56] Le peu de données biographiques sur Aufidius Namusa se réduisent à Pomponius, Enchirid., D. 1.2.2.44, qui le présente comme adepte de l’école de S. Sulpicius Rufus. Il est réputé d’avoir compilé l’œuvre de ses compères en 180 livres, dont les fragments sont souvent cités par les juristes sévériens. Sur la nature de son œuvre de compilation, A. Schiavone, Giuristi e nobili nella Roma Repubblicana,cit., p. 111 ss.

[57] La doctrine est partagée sur le fait s’il faut se référer uniquement aux événements naturels ou à un vitium loci, L. Parenti,Osservazioni sul «patientiam praestare», cit., nt. 28, p. 19 s. voir à ce propos, M. Bretone, I fondamenti del diritto romano, cit., p. 262; F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri, cit., p. 45 ss., en faveur de l’authenticité de la position de Labéon opposée à celle de Namusa.

[58] L. Parenti, Osservazioni sul «patientiam praestare», cit., et bibliographie, nt. 7 p. 5; nt. 28, p. 19 ss.

[59] D. 39.3.1.3 (Ulp. 53 ad ed), E. Hermon, Mucius Scaevola et le ius naturale. La construction de la résilience dans la gestion du risque d’inondations, IUS, 1 (2021) p. 19 s.

[60] On discute sur la part de Paul ou des compilateurs de cette dernière partie du passage en question qui allègue le principe de l’équité pour la solution proposée, F. Salerno, Opus manu factum, cit., p. 274; S. Piloni, Actio aquae pluviae arcendae, cit., p. 161, n. 16. Nous envisageons cette phrase selon sa logique interne qui évoque les événements catastrophiques qui peuvent bien être intégrés par Paul lui-même à la suite du commentaire de Labéon au responsum de Varus, supra, n. 51.

[61] D. 39.3.11.6 (Paul 49 ad ed.) et Bas. 58.13. 11.6, F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri,cit., p. 55 ss.

[62] Trebatius Testa, A. Berger - B. Nichols, Ox. Cl. Dict., Oxford, 1969, p. 1090. Après 44 avant notre ère, on enregistre des inondations tumultueuses du Tibre relativement fréquentes, en 32, 27, 23 22, 13 avant notre ère, 5 et 12 après notre ère, A. Guaglianone, Roma contro il Tevere, cit., Tab. I, p. 5.

[63] Selon F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri, cit., nt. 84, p. 61, notamment l’utilisation du cas du comblement des fossés (fossa limo repelta) par les Basilici, Bas. 58.13.11.6, n’aurait pas pu justifier une éventuelle interpolation de la vis fluminis.

[64] D. 39.2.9.1 (Ulp. 53 ad ed.). Selon M. Bretone, I fondamenti del diritto romano, cit., nt. 39, p. 95, Trébatius aurait pu faire référence aux inondations de 54.

[65] Les points de vue diffèrent sur la question de l’homogénéité des solutions proposées par Trébatius, et sur l’extension de l’action en absence d’un opus manu factum dans tous les cas mentionnés, voir à ce propos L. Parenti. Osservazioni sul «patientiam praestare», cit., nt. 30, p. 23 s.

[66] F. Salerno, Aqua pluvia ed opus manu factum, in Labeo, XXVII (1981) 229s., cit.; sur la discussion sur la patientia praestatio v. F. Sitia, Aqua pluvia e natura agri, cit., nt. 80, p. 57; L. Parenti, Osservazioni sul «patientiam praestare», cit., nt. 29, p. 23.

[67] En réaction aux thèses interpolationistes qui attribuent aux compilateurs de Justinien d’avoir introduit un nouveau régime de l’a.a.p.a., en élargissant son champ d’action, R. Derine, A propos du nouveau régime des eaux privées, cit., attire l’attention sur le fait que la connaissance du facteur climatique dans l’Empire était un facteur bien connu avant la compilation du Digeste, pour pouvoir être pris en compte par les juristes. À cette constatation s’ajoute l’état actuel des recherches sur les variations climatiques depuis la fin de la République, supra, nt. 5-8.

[68] Supra, nt. 10.

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